“Le malheur commence quand les mots ne se suffisent pas à eux-mêmes.”
- Alain Veinstein
Si le cœur est vital à tout être humain afin de continuer à vivre, tu considères que l’organe le plus passionnant est le cerveau. Tout comme celui faisant office de pompe énergisante, il est indispensable. Sans lui, rien n’est possible. Sans lui, pas de vie. Pour toi, il est nettement plus important que le myocarde. Ce dernier n’est que mécanique. Certes, lorsque la mécanique s’enraie, tout déraille, mais lorsque le cerveau s’embrouille, ce n’est pas mieux. Loin s'en faut. Propulser du sang dans les veines, c’est facile. Provoquer des courants électriques stimulants les synapses, provoquant la parole, ordonnant à un doigt de bouger, à des yeux de cligner, dirigeant les pensées, créant des rêves, donnant des frissons, faisant couler des larmes… Tout cela et bien plus compliqué, c’est beaucoup plus délicat. Fragile. Intriguant. Mystérieux. Bien plus manipulable également.
Tu as toujours trouvé cela grisant de démêler ce qui se passe à l’intérieur de la tête de quelqu’un. Déjà gamin, tu analysais ton environnement et surtout les personnes le composant. Tu les mettais dans des cases, les triais en fonction de tes besoins du moment afin de déceler vers qui te tourner en fonction de l'occasion. En grandissant, tu n’as pas vraiment changé ta façon d’être et de fonctionner. Tu continues inlassablement à décortiquer ce qui fait de tes interlocuteurs ce qu’ils sont. Et tu n’as rien perdu de ton talent d’avant, au contraire. Tu n’as fait que t’améliorer. A présent, on te paie même pour comprendre ce qui se passe. Ou ce qui ne se passe pas d’ailleurs. Parce qu’il faut bien l’avouer, les femmes et les hommes de cette Terre ont l’art de toujours tout compliquer. Tu les en remercies, ils te remplissent les poches tout en te divertissant en venant s’allonger sur le sofa de ton grand bureau aux couleurs claires et apaisantes. Durant tes séances, tu as l'impression d'être au cinéma. Devant un film plus ou moins intéressant, face à un acteur méritant ou non des applaudissements ou un Oscar.
« Rappelez-moi, où nous étions-nous arrêtés lors de notre dernière séance ? », tu le sais parfaitement, mais donner l’impression à ton patient qu’il mène la danse est toujours une stratégie que tu affectionnes. En fonction de sa réponse, tu peux savoir dans quel état d’esprit il se trouve. Agacé que tu sois en train de feindre ton oublie. Ravie de reparler du dernier sujet. Énervé de devoir le réaborder. Désappointé devant ton manque de professionnalisme. Joueur en sachant que tu n’as pas la mémoire défaillante. Il y a tant de possibilités de réactions que ça en devient fascinant.
Tu adores ton travail Silho. Non pas qu’aider de pauvres âmes à se retrouver soit ancré dans ton ADN, mais les écouter se lamenter, t’expliquer ce qui dysfonctionne dans leur existence, te conter leurs déboires, leurs joies ou tout ce qu’ils veulent te permet d’approfondir ta connaissance de l’autre. Et de faire des repérages aussi… Que ce soit pour une future recrue ou pour un futur client de ton activité annexe. Tu aimes tout de ce travail. Le cerveau. Les gens. Les bonheurs. Les malheurs. Les crises existentielles. Les rires. Les larmes. Jamais tu ne t’ennuies dans le confort de ton bureau à la vue imprenable sur les buildings new-yorkais.
(c) princessecapricieuse