Je lève les yeux au ciel quand on me dit que j’ai mon rendez-vous chez la psychologue dans dix minutes, c’est l’infirmier qui me le rappelle. Je n’ai pas oublié, pourtant je n’ai pas spécialement envie d’y aller, mais cette demoiselle que j’ai vu avant-hier avant de faire ma première crise d’épilepsie m’a convaincue. Elle n’a pas tort, je le sais, si je veux sortir d’ici je n’aurais pas le choix. J’ai finalement fait cet IRM qui m’inquiétait tant et ma solution pour ne plus angoisser à l’intérieur de la machine à été de penser à la chanson, je ne pouvais pas chanter, je chantais dans ma tête. C’était dur de rester immobile, j’ai fermé les yeux et j’ai essayé de ne pas trop penser à ce qui s’est passé, c’était tellement bizarre cette crise d’épilepsie. Je n’en avais jamais fait avant. Ils disent que c’est à cause de l’accident. Je me suis cogné la tête contre le volant. Je ne pensais pas que ça pouvait réellement être dangereux, même si j’en avais entendu parler finalement. J’ai surtout vu ça dans les films, je me disais qu’en vrai ça n’existait pas, tu parles, faut que ça me tombe dessus, comme si tout le reste n’était pas déjà suffisant. Je sors de la chambre, on m’accompagne jusque là et je reste un peu dans la salle d’attente, mais pas longtemps avant que la porte ne s’ouvre et qu’on me laisse entrer. C’est une jeune femme, peut-être qu’elle a mon âge, un peu moins ? Ça me fait bizarre je m’attendais à une personne plus âgée. Je dis bonjour et je m’installe, puis je lui dis :

« Bonjour, c’est marrant je m’attendais à quelqu’un de plus âgé. J’ai toujours pensé que les psy étaient des vieux types avec des lunettes. »

C’est très cliché, je me suis trompé bien sur. Elle n’a rien de vieille, heureusement, mais ce n’est pas pour autant que je vais tout lui dire, c’est ce que je me dis, en fait je ne sais pas tellement comme ça se passe. Je suis un peu tendu. Je croise d’ailleurs les bras, je les cache plutôt, je suppose qu’ils ont déjà du lui montrer mon dossier, qu’elle a peut-être fait ses propres conclusions alors je continue et je lui dis :

« J’imagine que vous avez dû voir ce qu’ils ont noté, c’est quoi votre verdict ? »

Je suis presque sur qu’ils ont mis mon bilan sanguin et toutes les infos qui vont avec, drogue, mutilations, bleus, tout ça tout ça. Je n’ai pas tellement envie d’expliquer tout, je veux juste qu’on me laisse sortir, rentrer chez moi.

Ça fait à peine quelques semaines que j’ai mon diplôme, mais j’ai déjà mon bureau et mes propres patients. C’est important de préciser aussi que le directeur du département de psychologie de l’hôpital m’avait proposé un poste avant même que je termine mes études. Ce qui a fait que dès le lendemain de ma remise de diplôme, j’étais déjà assise derrière mon bureau a tout préparé pour être totalement prête pour mes premiers patients. Et tous mes doutes et mes envies d’abandonnés ont disparu à ce moment-là. J’avais enfin terminé les études. Je n’arrivais pas à le croire. Bon, c’est vrai aussi que cette euphorie du début, elle a… un peu disparu. J’adore mon boulot, là n’est pas le problème. C’est juste que… ça demande encore énormément de temps, même en dehors des heures où je suis à l’hôpital. Ce qui fait que j’ai encore et toujours pas énormément de temps à consacrer à la danse et encore moins à ma musique. J’aurais peut-être dû prendre une année sabbatique entre la fin de mes études et le début de mon travail. Mais, il est un peu trop tard maintenant. Je ne peux pas abandonner les patients que j’ai déjà en suivis. Pour certains, l’abandon est quelque chose de super difficile à vivre alors je ne peux pas leur faire vivre ça. Il faut juste que je trouve une solution pour tout gérer sans trop me fatiguer pour éviter que mon cerveau parte en vrille et que je perde le contrôle de moi-même. J’ai réussi à surmonter la mort de Xavier et mon avortement sans oublier le fait que j’ai réussi à arrêter la drogue. Je ne veux pas replonger, que ce soit dans la drogue ou dans la dépression. Même si je sais que le risque n’est jamais loin en grande partie à cause de mon trouble bordeline.

Ce n’est pourtant pas le temps d’y penser puisque je dois finir de remplir mes notes de mon précédent patient et de me préparer pour le prochain. Je lis le résumé du dossier. Comme il a été admis à l’urgence après un accident de voiture et qu’il a été demandé de faire un suivis psy après ce moment-là, je veux me concentrer sur ce point. Un infirmier et même un médecin ont tenté de me parler de marque de mutilation et autres choses, mais je les ais coupé directement en leur expliquant que j’allais commencer par l’accident, comme c’était le point qui lui a voulu un rendez-vous avec moi. S’il voulait parler de d’autres choses, ça sera à lui de m’en parler lorsqu’il aura confiance. Pas avant. Je leur ai donc demandé un résumé de son dossier impliquant rien qui ne concernait pas l’accident. Puis, le dossier complet allait pouvoir me renseigner sur tout ce que j’avais besoin de savoir en temps et en lieu. C’est donc après avoir lu le résumé que je me lève pour ouvrir la porte.

- Aiden Moore, c’est votre tour.

Un doux sourire sur mes lèvres, je le laisse s’assoir sur l’un des fauteuils à l’opposé de mon bureau tandis que moi je prends l’autre fauteuil. Rien qui montre que je suis supérieur à lui ni rien qui nous sépare réellement pour ne pas avoir une frontière mentale ou visuelle entre nous. Un doux rire s’échappe de mes lèvres lorsqu’il mentionne le fait qu’il s’attendait à voir quelqu’un de plus vieux.

- Avant de commencer mes études, c’est ce que je m’imaginais aussi. Mais avant d’être vieux, il faut commencer par être jeune.

Je le sens tendue et je me fais la réflexion que ça ne sera pas facile pour commencer la rencontre. Mais, même si cette rencontre se retrouve à être une rencontre où on ne fait que parler pour qu’il se sente à l’aise et en confiance alors ça sera une rencontre réussie. Même si je le vois cacher ses bras. Je ne peux pas m’empêcher de jouer avec le bracelet de Xavier qui cache la seule cicatrice que j’ai depuis sa mort. Mais aussitôt que je m’en rends compte j’arrête et éloigne le souvenir de Xavier loin dans un coin de ma tête. Ses paroles m’aident bien à me reconcentrer sur le moment présent. Je secoue légèrement la tête et lui fait un doux sourire.

- Je n’ai aucun verdict puisque je n’ai pas voulu les écouter plus que ce qu’ils avaient à propos de vous sur l’accident. Ils ont fait une demande après votre accident alors nos rencontres vont se concentrer sur ce point. Puis, si vous ressentez le besoin de parler d’autres choses, ça sera votre décision. Sachez seulement qu’ici, c’est une zone sans jugement d’accord ? Et tout ce que vous allez me dire, va rester dans ce bureau. Il y a seulement une seule exception et c’est s’il y a danger pour vous ou pour autrui. Ça peut faire peur comme exception, mais je n’en abuserai pas promis.

Je lui fais un doux sourire puis pointe la table.

- Vous voulez quelque chose à boire avant de commencer ? Ou une petite douceur. Je suis certaine que vous pourriez trouver une petite sucrerie que vous adorez dans le panier.

J’ai installé ce coin de mon bureau dans le seul et unique but que le patient oublie qu’il se retrouve face à une psychiatre. Je sais de quoi je parle puisque je vois psychologue et psychiatre depuis mes 19 ans, depuis presque 10 ans. C’est pourquoi j’ai une bouilloire pour faire des thés ou autres boissons chaudes, une cafetière pour du café et toute sorte d’autres boissons pour plaire à tout le monde. Et dans le panier, toutes sortes de petits gâteaux, chocolats, biscuits. Bref, il y a assez de diversités pour que ça plaise à tout le monde. J’ai peut-être un peu abusé de mon titre d’aristocrate anglaise pour avoir ce droit en disant que j’allais pouvoir apporter beaucoup à l’hôpital, comme principalement du financement, en travaillant ici et de la façon que je le suite. Bien sûr, je suis le règlement de l’établissement, mais je me laisse quelques libertés.

Elle n’a rien de vieille, bien au contraire. Elle est même très jolie. Ca me fait d’ailleurs penser qu’il y a longtemps que je ne suis pas sorti avec une fille, ou avec quelqu’un, enfin je veux dire vraiment sortir … pas juste coucher. Je ne fais que ça coucher, c’est mon quotidien, enfin c’était. Je ne sais pas comment je fais faire pour payer mon loyer ce mois-ci. Et oui je n’ai que ça comme revenus, je viens d’être viré, alors même si je sais que mon ancien patron me laisse l’appartement, je ne veux pas rien lui payer. Je ne veux pas donner l’impression que j’en profite. Elle vient donc de finir ses études visiblement, elle doit avoir mon âge, ça fait bizarre.

Je la regarde avec étonnement quand elle me dit qu’en fait elle n’a pas lu tout mon dossier. Qu’elle veut essentiellement se consacrer à l’accident. Je hausse un sourcil, pourtant ils m’ont posé des tas de questions, même les policiers, parce que forcément il y a eu une enquête et heureusement qu’ils ne savent pas que je suis prostitué, je leur ai caché ça. Ce n’est pas bien de mentir. Je sais. Mais je ne peux pas faire autrement.

« Je ne me souviens pas de l’accident, ça va aller vite. »

S’il n’y a que ça pour que je puisse enfin rentre chez moi. Je n’ai pas forcément envie de lui raconter toute ma vie, il faudrait trop de temps et ça reste personnel. Je ne veux pas parler de certaines choses, je n’en ai jamais parlé à qui que se soit. Puis elle me demande si j’ai envie de manger quelque chose, pourquoi tout le monde me demande ça ? Je hausse les sourcils et acquiesce. Je prends un chocolat, j’adore le chocolat. Je pourrais en manger des kilos sans m’arrêter. Je me dis qu’elle doit surement observer tout ce que je fais. C’est ce que font les psys non ? Je fini de manger le petit bout de chocolat et je commence à lui dire :

« Je ne sais pas pourquoi ils veulent que je parle de l’accident, je ne me souviens de pas grand-chose. J’étais … »

Je m’arrête parce que je sais qu’elle va noter ça puis je lève les yeux au ciel et je lui dit :

« J’avais pris de la drogue, j’étais tendu parce que je devais aller dîner avec une amie, ça devait être un dîner banal, elle voulait me présenter à sa famille et je suis toujours stressé quand je dois voir du monde que je ne connais pas. Ça date de quand j’étais petit, si vous voulez tout savoir, j’ai des troubles de l’attention et de l’hyperactivité, on m’a retiré de ma mère quand j’avais cinq ans parce qu’elle était prostituée et je suis allé de famille d’accueil en famille d’accueil. Je n’ai jamais beaucoup aimé être entouré. »

C’est faux, ça me fiche juste la trouille et je me demande pourquoi je lui ai raconté tout ça. Je me surprends moi-même c’est plus facile que ce que je ne pensais.

« Je me souviens juste que quand je suis reparti j’étais en colère et que je n’ai pas vu l’autre voiture. Le reste je ne sais pas. On me l’a raconté. »

Je hausse les épaules. Je n’ai pas trop envie de lui parler du dîner, c’était un vrai fiasco et ça je m’en souviens.

Je ne me fais pas d’illusion. Je sais que cette séance, ce ne sera pas celle où il va s’ouvrir le plus. S’il s’ouvre à moi un jour. Il semble déjà tellement sur la défensive. C’est vrai que les psychologues et les psychiatres, on n’a peut-être pas la meilleure réputation puisqu’on vient s’insinuer dans l’intimité de la personne. En plus, dans ce cadre-ci, ce n’est pas volontaire de la part d’Aiden en plus. Puis, ce n’est pas facile pour tout le monde de se confier à un inconnu qui lui ne se confiera pas à son tour. L’important est vraiment de suivre le rythme du patient. Ça ne peut qu’être gagnant.

J’ai un léger sourire amusé en voyant son air étonner sur son visage lorsque je lui mentionne que je n’ai pas lu tout son dossier. C’est vrai que ça peut sembler très surprenant, mais je préfère découvrir au fur et à mesure la personne qui rentre dans bureau plutôt que de le lire dans un dossier. On n’est pas beaucoup à faire comme ça. Et ça peut nous jouer des tour, mais je prends la chance. Puis, j’hoche la tête lorsqu’il me dit qu’il ne se souvient pas de l’accident en prenant une gorgée de mon thé. Je vis peut-être à New-York depuis presque deux ans, mais je reste une Anglaise dans l’âme malgré tout.

- Ça arrive ce phénomène à cause du stress et du traumatisme.

Je dis simplement pour expliquer que c’est quelque chose de normale. Je lui propose ensuite de prendre quelque chose à manger ou s’il voulait quelque chose à boire, mais il prend qu’un chocolat. Je garde ma tasse entre mes mains en le regardant, mais sans l’analyse. Il n’est pas un rat de laboratoire quand même. Puis, il reprend la parole sans que j’aie à dire quoique ce soit de plus. Ça me surprend, mais ce qui me surprend le plus c’est ce qu’il me révèle ensuite. Je fais en sorte que ma surprise ne paraisse pas sur mon visage tout en gardant une expression douce et accueillante. J’hoche la tête à certains moments pour lui montrer que je comprends ce qu’il me dit. Je ne prends aucune note pendant les séances. J’ai une très bonne mémoire pour retenir ce qu’il a été dit pendant et après je remplis une fiche de note pour être sûr de ne pas avoir d’oublie à la prochaine séance.

- Ça n’a pas dû être facile pour créer des liens solides avec les autres tous ces changements de famille. Ce qui peut expliquer le fait que vous préférez être seul. Comme ça, vous ne risquez pas de perdre à nouveau des personnes qui commençaient à être importants pour vous.

Je dépose ma tasse et croise mes mains sur le bras du fauteuil que j’occupe.

- Votre cerveau a occulté le souvenir de l’accident pour vous évitez de vous en souvenir et d’être traumatiser. Cependant, le risque avec ce genre de mécanisme de défense est que les souvenirs peuvent revenir à n’importe quel moment à cause d’un élément déclencheur qu’on ne peut prévoir. C’est l’une des raisons qui a poussé les médecins à vous prendre un rendez-vous avec moi. Ils veulent être sûr que tout aille bien en sortant de l’hôpital. Autant physiquement que mentalement.

Je parle de cette voix douce et réconfortante sans être rabaissant et infantilisante. Je suis contente de l’ouverture qu’il a faite alors que ça ne fait que quelques minutes qu’on est dans mon bureau. Ça s’annonce bien.

TW: Vulgarité  

Je ne pensais pas qu’elle me parlerait de ça, stress post traumatique, comment-est- ce que ça peut m’arriver ? Je ne me souviens pas, ou alors je ne veux pas me souvenir comme elle dit. Je me contente de hausser les épaules, ce n’est pas plus mal. Je ne sais pas pourquoi j’arrive ensuite à lui parler de ma mère, d’habitude je n’en parle pas, ça vient sur le tapis alors que je parlais de la soirée ou je suis allé, cette foutue soirée. Si j’avais su je n’y serais pas allé, peut-être que ça m’aurait évité de me faire rentrer dedans par une autre voiture, d’avoir des côtes cassées.  Je reste sans rien dire quand elle me dit que si je préfère être seul c’est surement pour éviter de souffrir. Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ça. Elle devine bien et quelque part ça m’agace un peu, parce que j’ai l’impression qu’elle lit bien trop de choses en moi. Elle m’explique pourquoi les médecins ont sans doute voulu que je vois un psy, mais je ne suis pas tellement d’accord sur ce point et je fini par lui dire :

« Ah ouai vous croyez ? Vous n’avez vraiment pas regardé tout ce qu’ils ont noté ? Mais je le sais ce qu’ils pensent. Ils pensent juste que je suis un pauvre cinglé qui se drogue, qui se mutile et qui aime se faire taper dessus ou qui se tape dessus peut-être tout seul ! Peut-être même qu’ils savent que je me fais tabasser par certains de mes clients, mais c’est surement tout ce que je mérite. Je ne suis qu’une pute finalement. Mon père m’a assez répété que j’étais un fils de pute, il leur a surement dit, mais ce qu’il ne sait pas c’est que je fais pareil qu’elle ! Tel mère tel fils ! C’est ça hein ?! Ils veulent que j’aille dans un putain d’asile parce que je ne rentre pas dans les foutues cases de la société ! »

Je ne sais pas pourquoi je me suis énervé comme ça. Je me suis levé pendant que je parlais, j’ai tapé du point sur la table, sans doute parce que je suis en colère qu’on ne me traite que de cette façon et que j’en ai marre de toujours entendre les mêmes discours. Je me mords la lèvre me rendant compte que j’ai passé ma colère sur elle alors qu’elle n’a rien demandé. Je me rassois dans le fond du fauteuil. Fichu caractère de merde et je lui dis :

« Je suis désolé … Je ne sais pas ce qui m’a pris. »

Je viens de lui déballer tout ce que je cache à tout le monde en cinq secondes. C’est fort, un peu trop pour être honnête, mais ça fait plutôt du bien de déverser ma colère, je regrette juste que ça soit elle qui ait tout pris.

Je n’aime pas avoir tort. Ça m’arrive rarement. J’ai une telle mémoire et intelligence que je retiens très facilement les informations. Pourtant, dans certaines situations, je préfère avoir tort que raison, comme maintenant. Je pensais que Aiden allait être renfermé pendant ce premier rendez-vous, qu’il n’allait pas beaucoup s’ouvrir et se livrer et je pensais que j’avais vu juste. Mais comme j’avais tort. Je le remarque parfaitement alors qu’il me déballe tout ce qui lui pèse sur le cœur. Et j’en suis heureuse. Bien sûr, je ne le montre pas réellement sans nécessairement garder un visage fermé. J’avais déjà eu un psy comme ça. Il ne laissait aucune émotion transparaître et c’était tellement malaisant. J’avais pratiquement l’impression de parler à un robot et ça n’aidait aucunement à créer le lien de confiance. Je ne l’ai pas vu longtemps non plus. Alors je fais en sorte de laisser transparaître juste assez d’émotion pour mettre en confiance le patient devant moi, mais pas trop pour garder une certaine distance professionnelle. Tout ça pour dire que je suis bien heureuse de voir que j’avais tort en pensant que Aiden n’allait pas s’ouvrir à moi lors de cette première et unique séance. Pourtant, ce qu’il me dit me brise le cœur. L’image et l’opinion qu’il a de lui-même me brisent le cœur. Je n’arrive pas à comprendre comme des parents peuvent agir de la sorte avec leurs propres enfants. Mes propres parents ont été super strict avec nous et c’est bien pour ça que je ne vis plus à Londres. Alors, même si ce n’est pas exactement la même chose, je compatis avec Aiden. Son père aurait mieux fait de s’éloigner de lui si c’était pour le rabaisser de la sorte.

Avant de dire un seul mot, je le laisse se rassoir et se ressaisir. Si je lui parle maintenant, ça ne servira à rien de toute façon. Je lui fais un doux sourire en balayant ses excuses de la main.

- Pas besoin de vous excuser pour quelque chose que vous gardiez à l’intérieur de vous depuis un long moment. Et qui demandais qu’à sortir. Vous aviez besoin d’extérioriser et c’est l’endroit parfait pour le fait.

Je prends un instant de pause pour mettre de l’ordre dans ce que je veux dire.

- Vous avez raison. Je n’ai pas lu votre dossier complet. J’ai lu juste ce qui concernait l’accident, comme je vous ai dit. Alors oublions ce dossier puisque vous êtes un être humain et non qu’un simple dossier. C’est ce que vous pensez de vous-même ? Que vous méritez juste de vous faire tabasser par vos clients ? Que vous êtes qu’un cinglé qui est bon pour l’asile ? Que vous êtes qu’une pute, comme vous dites ?

Je lui laisse quelques instants pour réfléchir à mes paroles avant de reprendre la parole.

- Vous voulez savoir ce que je pense, moi, avec ce que vous venez de m’apprendre ? Je pense que vous êtes tellement plus que tout ça, mais que vous n’avez jamais eu personne qui vous a aidé à croire à vos rêves, qui vous a soutenu pour vous aider à grandir en ayant une bonne image de vous-même. Je ne connais pas votre passé, c’est vrai. Mais vous m’avez parler de plusieurs familles d’accueil, de votre mère qui vous a été retiré très jeune, de votre père qui vous rabaissait et du fait que vous n’aimez pas être entouré. Puis, sans me le dire de vive voix, vous m’avez fait comprendre que vous préférez être seul par peur de perdre à nouveau une personne à qui vous tenez. Tout ça, ça n’aide aucunement à bien se construire et à être bien avec soi-même. Vous, vous vous sentez comme face à tout ce que vous venez de me révéler ?

Je marque une pause avant de rajouter un point.

- Laisser le sortir comme ça vient. On va lui mettre une certaine forme ensemble après.

Je lui fais un doux sourire se voulant encourageant pour lui.

J’ai encore du mal à croire que j’ai pu tout lui balancer alors qu’en général je ne dis rien. C’est assez étrange qu’avec une parfaite inconnue j’arrive à tout dire. C’était peut-être ce qu’elle voulait ? Sans me rendre compte je me pince la peau, discrètement, de nervosité, mais pas que. Comment je me sens ? On ne m’a jamais demandé ça. Je ne sais pas quoi répondre. Enfin si mais … je ne suis pas certain d’avoir réellement envie d’en parler. Je suis sensé lui dire quoi ? Que je me trouve minable ? Que je sais qu’ils ont surement raison ? Que je ne me trouve nul ?

-Je ne suis rien. Je n’ai plus envie. Je veux … Je veux que ça s’arrête.

Ce sont des mots que je n’ai jamais dits non plus, à personne. Je n’ai jamais dit que j’en avais assez de tout ça, que ça m’est arrivé de me lever et de ne plus avoir envie de rien. C’est peut-être pour ça que je me drogue, que je fais en sorte qu’on ne m’aide pas, parce que je ne veux pas qu’on m’aide finalement. Je ne veux pas qu’on ait pitié, je ne peux rien changé du passé, mais j’ai l’impression que le futur ne sera pas mieux. Je voudrais essayer, je ne sais pas comment faire.

-Je n’ai pas choisi d’être comme ça. Je voudrais savoir ce que ça fait d’avoir réellement une famille … mais visiblement je n’y ai pas le droit. On me laissait toujours sur le carreau que ce soit à l’école ou dans le foyer ou j’étais et les fois ou j’ai été pris par des familles, ça s’est mal passé. Je n’étais pas vraiment un de leur, j’étais juste … un moyen pour eux d’avoir des aides en plus et ils en profitaient.

Je ne sais pas pourquoi je lui parle de ça. Je repenser à un de fils d’une des familles d’accueil. Si j’avais su à ce moment-là que ce qu’il faisait n’était pas légal, peut-être que les choses auraient été différentes. Mais j’ai été naïf. Je l’ai cru, j’avais la trouille. Je l’ai laisser faire. Ça doit être en parti après ça que j’ai commencé à me mutiler. Je n’en ai jamais parlé à personne. Je ne sais pas si je suis vraiment prêt à le faire.

Je ne pensais vraiment pas qu’il allait autant se livrer. À vrai dire, je crois que même lui ne s’y attendait pas alors ça ne devait vraiment pas être prévu. Je me surprends même à penser que c’est dommage, d’un sens, qu’ont ait qu’une séance ensemble. Je trouve ça dommage de devoir tout arrêter dans pas moins de 30 minutes alors qu’il s’est livré autant à moi. Alors qu’il est ouvert, même si retissant, à continuer sur cette lancée. Il faut vraiment que j’assure pour ces 30 prochaine minute et que je lui propose le meilleur psy que je connais pour qu’il puisse avoir un suivi lorsqu’il se sentira prêt à franchir cette étape. Et ses paroles, elles me font juste encore plus dire que je ne dois en aucun cas rien raté puisqu’il marche déjà sur la corde raide.

- Vous voulez que ce mode de vie arrêter ou… votre vie tout court ? Parce qu’il y a une grosse différence entre les deux. Certaines fois, en changeant seulement quelques détails de notre vie, on retrouve le goût de la vivre avec un grand sourire.

Et je sais de quoi je parle puisqu’en m’éloignant simplement de mes parents et de Londres, j’ai retrouvé un vrai sourire et une joie de vivre que mes parents me volaient avec leurs pensées trop… aristocratiques. Puis, à ses paroles, j’hoche la tête avec un petit sourire compatissant à ses paroles.

- Ça n’a pas dû être facile de grandir dans ces circonstances, en effet. Il serait peut-être temps de choisir ce que vous voudriez être, comment vous voudriez être. Peut-être que votre mal être est le signe qu’il est temps de faire des changements. Je conçois que ce n’est jamais facile de changer de vie, c’est pour ça que je pourrais vous référer à un de mes collègues ou une selon avec qui vous seriez plus à l’aise. Et, en cas de gros besoin, je pourrais vous laisser mon numéro. Est-ce que ça vous conviendrait ? Et d’ici la fin de la séance, on pourrait voir différentes pistes pour amorcer un changement dans votre vie ?

Je lui demande puisque c’est à lui de choisir. C’est à lui de voir s’il est prêt à aller voir quelqu’un pour l’aider ou s’il est prêt à faire du changement dans sa vie. Moi, je ne suis que là pour l’aider, le guider, le soutenir dans toutes ces démarches. Du moins pour cette séance. Même si je sais que je serais bien prête à le garder comme patient gratuitement s’il ne veut aller voir personne d’autre. Les médecins n’ont pas pu s’empêcher de dire qu’en plus, il n’avait pas les moyens de payer ses soins. J’ai aussi entendu dire que c’était une jeune femme qui avait payé ses frais. Elle voulait rester discrète, mais un hôpital, c’est un petit village, donc ça se parle. Puis, je n’étais pas loin lorsque ça s’est fait. Tout ça pour dire que ce ne sera pas par pitié que je le ferais, mais bien parce qu’il ne s’est jamais senti important j’ai l’impression et je ne veux pas que notre système de santé continue à lui faire ressentir ça. Il mérite mieux que ça.

Je relève les yeux vers elle. Je sens ma gorge se serrer un peu à sa question et discrètement j’enfonce mes ongles dans ma main avant de lui répondre :

« Un peu des deux … »

Quand à ce que je veux être, qui je voudrais devenir, je le sais depuis un moment, mais est-ce que j’aurais seulement une seule chance de réussir ? C’est un milieu difficile, enfin c’est un milieu qui ne laisse pas de place aux scandales, si un seul de mes petits secrets se sait, je serais fichu et je pourrais dire adieu à une réelle carrière, bien que d’autres ont exploité tout ça, la presse adore les scandales, mais ils finissent par détruire beaucoup de monde, combien de célébrité, connues ou moins connues ne sont pas mortes ou n’ont pas essayé de se suicider à cause de ça ? Je pense au club des vingt-sept bien sur il n’y avait pas que ça et ils n’avaient pas la même vie que moi, mais si j’entre réellement dans ce milieu j’ai peur que finalement je ne fasse que continuer à me droguer et à me détruire à petit feu, comme si je n’avais pas réellement droit à une autre chance. Je ne sais pas tellement pourquoi tout semble toujours s’acharner. Comme si on me punissait pour quelque chose que je n’avais pas fait ou peut-être pour quelque chose que j’ai fait dans une autre vie qui sait ? Je ne suis même pas sûr de croire à ces trucs-là. Sans demander la permission je prends un autre chocolat, je crois que j’en ai besoin et si ça ne tenait qu’à moi je m’enfilerais tout le saladier de bonbons.

« Je veux être chanteur, c’est tout ce que je veux. Pour le reste … je voudrais juste qu’on me laisse sortir d’ici. Je veux rentrer chez moi. Il y a sans doute d’autres personnes qui ont plus besoin d’aide. »

Je ne veux pas trop insister, je la trouve gentille c’est vrai mais je ne me vois pas revenir pour parler de moi, ça me fait du bien de dire que j’avais sur le cœur maintenant que c’est sorti, je pense que je pourrais continuer d’avancer un peu et puis si jamais j’en ressens le besoin je reparlerais à quelqu’un. Mais je n’ai pas envie de venir chaque semaine, je n’en ai pas les moyens de toutes façons.

Pourquoi il faut toujours que ce genre de révélations arrivent vers la fin d’une séance ? Même si, cette fois-ci, c’est d’une certaine façon pire puisque j’ai qu’une seule séance avec lui. Et il ne semble vraiment pas partant pour qu’on poursuive les rencontres. Alors qu’est-ce que je peux bien faire pour bien faire mon boulot sachant qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour créer un filet de protection pour lui. Je ne veux pas laisser partir en ayant envie d’en finir avec la vie. Je ne serais autant pas bien avec cette idée au niveau personnel que professionnel.

- Je vois. Avoir plus de temps pour cette séance et même avoir plus d’une séance avec vous, je ferais avec vous tout un plan pour créer un filet de protection. Votre vie mérite d’être vécue et mon but serait de vous aider à le voir vous aussi. Cependant, comme il ne reste plus beaucoup de temps, je vais vous donner quelques numéros, dont le mien, où vous allez pouvoir appeler pour avoir de l’aide. N’hésitez pas à les utiliser. Ils sont là pour ça. Sinon, si vous pensez à une personne vers qui vous pouvez vous tourner en cas de besoin, tournez vous aussi vers cette personne. Quelques fois, on pense qu’on est seul, mais finalement on est très loin d’être seul.

Je tente d’être le plus rassurante possible, surtout avec mon sourire rassurant qui accompagne mes paroles. J’ai tellement l’impression de tout lui balancer sans me préoccuper de son bien être alors que c’est tellement loin de la vérité.

Je suis contente de le voir prendre un autre chocolat puisque ça veut dire qu’il est assez à l’aise entre ces murs et avec moi pour se servir non ? Je suis surprise par ses paroles. Il veut devenir chanteur ? C’est génial ! Bien sûr, ce n’est pas un choix de carrière simple et facile, mais c’est tellement merveilleux de se perdre dans la musique lorsque tout va mal ou même lorsque tout va bien. Cependant, je garde un visage professionnel. Je ne montre pas trop ce que je ressens. Je montre plutôt un visage attentif et ouvert à ce qu’il me dit. Même s’il minimise ce qu’il ressent et vit en disant qu’il y a d’autres personnes qui ont plus besoin d’aide que lui.

- Alors foncez atteindre votre rêve. Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour que votre rêve devienne réalité. En ce qui concerne votre sortie, pour ma part, je vais vous laisser regagner votre chambre. Je ne crois pas qu’il y aurait quelque chose de plus à ressortir en continuant. Vous vous êtes ouvert à moi et j’ai pu comprendre que l’accident n’avait pas eu de répercussion sur votre mental. Puis, vous avez mon numéro s’il y a quelque chose. Cependant, pour ce qui est de votre sortie d’hôpital, je crois que vous allez devoir rester encore un peu ici. Faudra voir avec votre médecin. Une dernière chose. Sachez que personne n’est plus important que vous. Il n’y a pas une hiérarchie des besoins, donc chaque personne qui a besoin d’aide est tout aussi importante l’une que l’autre.

Je me redresse pour signer la fin de cette séance.

- J’ai été ravie de faire votre connaissance monsieur Moore.

Je lui offre un doux sourire tout en parler, puis je lui tend la main pour serrer la sienne avant de le laisser quitter mon bureau.