Je n’aime pas tellement retourner là-bas. L’hôpital, les visites de contrôle, ça me rappelle que j’ai failli y passer et que finalement c’est la troisième fois que j’échappe à la mort. Il semblerait que j’ai une bonne étoile. J’arrive à l’heure comme toujours et je me présente dans le service concerné. Je n’ai pas retenu le trop, il y a trop de service de toute manière. Je m’y perds à chaque fois que je dois revenir ici. Ce coup-ci ce n’est pas en psychiatrie, c’est tout ce que je sais. Je vois un médecin qui examine ma cicatrice, elle est encore bien visible, mais moins gonflée qu’au départ. Il me conseil de toujours prendre le traitement qu’il m’a donné. Je le ferais. Puis il me demande comment je vais. Je lui dis que ça va. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais je n’ai pas envie de m’étaler. Je ne sais pas vraiment où j’en suis. Je fini par me sortir de la salle et je tombe nez à nez avec …

« Axel … Salut … »

Je lui fais un petit sourire un peu crispé. On ne s’est pas tant revu depuis que je sais qu’il était là quand je me suis fait tirer dessus. Mon ex petit ami. C’est assez comique quand on y repense que je tombe sur lui, enfin non, je sais qu’il travail ici. On discute rapidement, il a des choses à faire alors je continue ma route. Du moins je pensais. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis resté planté là dans ce couloir que j’ai dû voir plus d’une fois. J’ai eu un flash-back. Je me vois sur un brancard il y a six ans. J’étais à Londres pourtant pas ici, mais tous les couloirs d’hôpitaux se ressemblent. Puis je suis de nouveau là-bas, dans l’hélicoptère. Je les vois me dire de sauter. Je l’ai vu me dire de prendre le dernier parachute. Je fais non de la tête. Je ferme les yeux. Retour à la réalité et ce coup ci ce n’est plus Axel qui est devant moi, mais c’est une jeune femme, qui a l’air de travailler ici. Je crois que je l’ai déjà aperçu dans les couloirs. Peut-être une infirmière aussi.

« Je … pardon, je n’ai pas entendu … »

Non je n’ai rien entendu parce que j’étais absent, pourtant j’étais bien là devant elle. Si elle ne me trouve pas bizarre … bien joué Dallas, je vais passer pour un illuminé, mais après tout, je suis habitué.

Je suis vraiment contente d’avoir enfin terminé mes études et de pouvoir réellement travailler. Mais, aujourd’hui, mon dieu que j’aurais pris une journée pour être chez moi à faire de la musique. Surtout avec la mélodie et les paroles qui n’arrêtent pas de se former dans ma tête. C’est toujours lorsqu’on ne peut pas faire une chose qu’on est le plus inspirer après tout. Non ? C’est bien pour ça que j’ai plein de phrases sur la première page de mon calpin d’idée de vers pour une future chanson. Heureusement que je ne passe pas ma journée à recevoir des patients dans mon bureaux, ça aurait été une horreur de rester concentrée. Surtout que ça fait maintenant un an que je n’ai rien pris. Autant de coke que de stimulants. Et je ne veux vraiment pas replonger. Je dois redoubler d’effort puisqu’avec le trouble bordeline, je suis vraiment plus sujette aux addictions. Et, après la mort de mon grand frère par overdose, je veux encore moins replonger. J’ai peur de la réaction de Clay s’il apprenait que je suis addict moi aussi. Oui, je suis clean depuis un an, mais je reste tout de même une toxico. Malheureusement, on le reste à vie puisque le risque est toujours là.

Je reviens du service de pédiatrie pour aider les infirmiers avec un patient autiste qui ne se laisse pas toucher et qui est très peu verbale. L’accident de voiture qu’il a eut avec ses parents l’a assez amoché, mais il n’a pas de grosses blessures graves, mais il doit tout de même être traiter. Cependant, sa mère s’est un peu plus important puisqu’elle était du côté de l’impact de ce que j’ai compris. Son père s’en sort « qu’avec » un bras cassé. Il pourra retrouver son fils rapidement, mais pas tout de suite. C’est bien pour ça que j’ai été demandé. Je ne travaille pas avec des enfants en temps normal, mais ma collègue était déjà occupée contrairement à moi. Alors autant aidé un pauvre gamin qui était apeuré du meilleur que je le pouvais.

Sur le chemin du retour, je note quelques idées de paroles, les fredonnant en même temps. Tout en marchant. Une idée dangereuse, mais je n’ai jamais causé de problèmes en faisant ça. Du moins, jusqu’à maintenant alors que je passe proche de rentrer dans un homme qui ne bouge pas du milieu du couloir. Je fronce les sourcils et l’appelle une première fois. Puis, une deuxième.

- Monsieur ? Tout va bien ?

Puis, une troisième puisque ne dit-on pas « jamais deux sans trois », après tout ? Je finis par poser ma main, malgré le crayon que je tiens entre mes doigts, sur son bras en l’appelant une nouvelle fois alors qu’il semble revenir à lui-même. Je lui fais un doux sourire lorsqu’il me demande pardon.

- Ne vous en faites pas. Je vous demandais tout simplement si tout allait bien puisque vous étiez figé au milieu du couloir. Vous sembliez perdu dans vos souvenirs. Vous avez besoin d’aide ?

Je demande toujours prête à aider quelqu’un. Encore plus si c’est dans un lieu comme l’hôpital. Le Lennox Hospital, c’est un grand hôpital alors il pourrait être perdu. Il cherche peut-être le service adéquat pour faire un suivi de la cicatrice à sa gorge. Je ne sais pas moi. Alors je préfère ne pas prendre de chances.

Je la regarde, sans savoir ce qu’elle a bien pu me demander. Je déteste ce genre de situation et ça arrive presque tous les jours. C’est affreux de me retrouver comme coincé dans mes souvenirs, sans que je ne puisse les empêcher. Elle m’explique alors qu’elle me demandait juste si ça allait, que je semblais perdu dans mes souvenirs. Je fronce les sourcils, c’est rare qu’on comprenne aussi vite. Mais après tout si elle est ici et en tenue blanche c’est sans doute qu’elle est médecin. J’acquiesce et lui dit :

« Oui désolé, ça arrive de temps en temps. Mais ça va merci. »

Je fais un beau menteur. Je ne vais pas lui dire que ça ne va pas, non je n’en aurais pas fini sinon. Je n’ai pas le choix c’est comme ça. Il faut que je fasse avec. Je ne suis pas le seul dans cette situation même si en réalité j’ai souvent l’impression d’être seul, que personne ne peut comprendre. Je la regarde de nouveau et je fini par dire :

« Je veux bien savoir par où est la sortie. Je me suis un peu perdu … J’ai eu un rendez-vous. C’est un vrai labyrinthe. »

Je ne lui dis pas réellement la vérité, ni pourquoi je suis là dans ce couloir qui mène aux urgences, parce que j’y étais y a quelques semaines. J’ai eu de la chance. Je ne sais pas tellement quoi dire de plus. Je me sens un peu bête et puis revoir Axel m’a surpris, même si je sais qu’il travail là, c’est toujours délicat. Je ne veux pas l’embêter ni lui rappeler des mauvais souvenirs, tout est ma faute. Nous, mon divorce, ma tentative de suicide … il a vu tout ça. C’est un peu compliqué à expliquer. Je ne sais pas s’il m’en veut, si je dois lui dire quelque chose ou si tout est ok entre nous. On n’a jamais vraiment rediscuté de tout ça. Ce n’est peut-être pas le moment, surtout parce qu’il était là aussi quand j’ai été emmené y a quelques semaines. Ca ce n’était pas du tout prévu.

Je me pince un instant les lèvres lorsqu’il me dit que ça va, même si juste avant il dit que ça lui arrive de temps en temps. Je voudrais aider tout le monde, c’est plus fort que moi. Ce n’est pas pour rien que je voulais devenir médecin, puis psychiatre. Je veux aider les autres. Et cet homme en fait partie. Ce n’est pas rassurant de savoir qu’il peut tomber perdu dans ses pensées aussi intensément et régulièrement. Mais, que puis-je faire pour lui alors qu’il est un simple inconnu dans lequel j’ai passé proche de rentrer dedans ? Pas grand-chose je crois bien. Alors je lui fais qu’un simple sourire légèrement pincer.

- Aucun soucis, je ne regardais pas vraiment où j’allais, j’écrivais des paroles de chansons pour ne pas les oublier.

Évidemment que je ne crois pas totalement ses paroles. Je suis psychiatre après tout ! Mais, on ne peut pas forcer quelqu’un à parler s’il ne le veut pas. Et finalement il me demande mon aide pour retrouver la sortie. Je lui souris donc puisque j’allais justement prendre un peu l’air après avoir tenter de gérer un jeune autisme pendant une longue période.

- J’allais justement par là vous avez juste à me suivre si vous voulez. Je suis d’accord avec vous sinon, c’est un vrai labyrinthe ! Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis perdue lorsque j’ai commencé mon internat ici.

Je dis en rigolant doucement. Je commence à marcher vers les ascenseurs lui jetant un œil pour l’inviter à me suivre. Une fois qu’il est à nouveau à ma hauteur, je reprends la parole.

- Vous êtes anglais, n’est-ce pas ?

Je crois avoir reconnu l’accent anglais que j’entends si rarement maintenant que je vis à New-York. Il y a bien Clay qui l’a toujours, mais ce n’est pas pareil. C’est mon frère alors c’est normal. Je serais bien contente d’avoir rencontrer une nouvelle personne qui soit elle aussi anglaise. Et ça transparaît avec le sourire qui accompagne ma question.

Je fronce les sourcils, des paroles de chansons ? Elle est chanteuse ? Je suis curieux alors je lui dis :

« Vous écrivez des chansons ? Vous chantez ou vous travailler ici ? »

Peut-être qu’elle fait les deux ? Peut-être qu’elle aime chanter et je me demande pourquoi ça m’intéresse finalement. Ça ne se sont pas mes affaires. Je devrais juste partir. J’ai une moitié de réponse, son internat, donc elle est étudiante ? Je la regarde et lui souris avant de dire :

« Vous faites des études de médecine ? »

J’ai peut-être tout faux, j’essaie de deviner, mais je ne suis pas très doué à ce petit jeu-là. Elle veut m’accompagner, c’est un peu bizarre, mais après tout si elle va par-là. Autant y aller ensemble. Et je réponds à sa question avant :

« Oui, je suis né à Londres. J’y ai grandi. Je ne suis là que depuis quelques années. On a déménagé ici quand ma femme a trouvé un travail plus intéressant. Je pouvais être mobilisé ici. »

Je pouvais … non pas réellement, j’étais déjà sur le carreau, mais j’aime croire que je pouvais encore travailler, ils ne voulaient pas me faire reprendre. Trop dangereux … mon comportement n’était pas bien vu par mes supérieurs, ils s’inquiétaient.

Elle se dirige vers les ascenseurs et je m’arrête en les voyants. Les ascenseurs … je ne les prends pas en général, trop de mauvais souvenirs, je suis devenu claustrophobe il faut croire. Je sens mes membres se raidir un peu. Je ne veux pas avoir l’air d’un idiot, mais je ne peux pas entrer là-dedans. Je m’arrête juste devant et je suis de nouveau plongé dans les souvenirs. On s’était réfugié dans un ascenseur lors d’une attaque, une de mes premières missions. J’étais encore jeune et on a eu beaucoup de chance, mais je me souviens très bien, trop bien même. Les images défilent dans ma tête sans que je ne puisse de nouveau les arrêter. Je suis incapable de bouger, de les arrêter. Je n’ai pas encore trouvé le mécanisme. Je reste là comme un idiot. Tétanisé. Je fini par fermer les yeux, tout s’arrête et je me plaque contre le mur derrière moi. Histoire de me donner un coup, de revenir à la réalité. J’imagine que ça doit être bizarre. Je fini par revenir et par la regarder encore un peu paniqué.

« Je suis désolé … Je … J’ai des … Je n’arrive pas à … »

Visiblement je n’arrive pas à retrouver mes mots. Je me laisse glisser le long du mur, je m’assois à terre. Je déteste quand ça arrive. Je me trouve ridicule de ne pas savoir me confronter à mon passé. Je me prends la tête dans les mains, tellement j’ai honte de tout ça.

Un petit rire, aucunement moqueur, franchi la limite de mes lèvres à ses questions. Si je chantais réellement, je ne crois pas que je m’amuserais à me promener dans un hôpital avec des dossiers de patients entre les mains. Alors je m’empresse de mettre les choses au clair.

- Je travaille ici, mais, sur mon temps libre, j’écris et compose des chansons. C’est un peu ma passion et mon échappatoire.

Je tente d’expliquer au mieux pour qu’il y voit plus clair. Et pendant un instant, je me demande pourquoi je fais tout ça. C’est un inconnu alors pourquoi ? Puis, lorsque je vois que son regard ne semble plus être perdu entre le passé et le présent et qu’il semble être plus détendu, je comprends. Je l’aide à penser à autre chose et à revenir complètement au moment présent. Je l’aide et c’est ce que j’aime le plus faire : aider les autres. Je lui rends son sourire avant de secouer la tête légèrement dans un premier temps.

- Je suis plus étudiante depuis mai, à mon plus grand bonheur ! Je suis maintenant psychiatre, ici. Le directeur du département de la psychologie m’a offert un job après mon internat et j’ai pas pu le refuser.

Je lui explique bien plus que ce que sa simple question voulait comme réponse, mais ce n’est pas grave. Tant qu’il continue à s’ancrer dans le moment présent, c’est tout ce qui compte. Puis, je finis par lui demander s’il est anglais, ce qu’il me répond par l’affirmative. Et je souris grandement à cette nouvelle. Et, sans trop comprendre pourquoi, je perds un peu de mon sourire lorsqu’il me parle de sa femme. Évidemment qu’il est marié, beau comme il est. Pourquoi je pense ça moi ? Il est clairement plus vieux que moi, puis, même, on se parle depuis à peine deux minutes ! J’ai de ces idées parfois… !

- Moi aussi je suis né à Londres ! C’est cool. À part mon frère et ma sœur, je ne connais pas d’autre britannique à New-York. Ça n’a pas dû être facile de tout quitter pour s’installer ici. Au moins, vous avez pu être mobiliser ici. Vous faites parti de l’armée ?

Si c’est le cas, ça pourrait expliquer ses moments d’absence. Mais, peut-être que je m’avance beaucoup trop aussi. Ce qui pourrait être réellement le cas. Je ne m’en préoccupe pas plus que ça puisque ce n’est pas mon patient, mais bien un simple inconnu avec qui je parle dans un couloir de l’hôpital juste comme ça.

Je me dirige vers les ascenseurs, je m’apprête même à rentrer dans l’un d’eux lorsque je remarque que l’inconnu ne me suit plus. Je me tourne donc et je le vois figé à quelques pas de moi. Voyant que je bloque les portes à des collègues, je me décale en m’excusant. En voulant reposer le regard sur l’inconnu, je le vois contre le mur où je le rejoins aussitôt. Je dépose ma main libre sur son bras que je caresse tendrement en voyant son regard rempli de panique. Je m’en veux de l’avoir mis dans cette situation, même si, je sais, je ne pouvais pas le deviner. Mais j’aurais pu penser deux secondes au fait qu’un endroit clos pourrait avoir un affect négatif pour lui. Comment ? Je ne sais pas. Mais j’aurais pu y penser.

- Eh… Eh… Vous n’avez pas à vous excuser, d’accord ? Vous ne devriez jamais vous excuser pour une peur qui vous fige sur place.

Le voyant glisser contre le mur, je m’installe à genoux à ses côtés. Je ne peux clairement pas le laisser dans cet état seul. Quel genre de psychiatre ferait ça ? Mais surtout quel genre d’humain je serais si je faisais ça ? Le genre d’humains que je déteste.

- On ne prendra pas l’ascenseur. Vous vous en parler ?

Je demande toujours de ma vois la plus rassurante possible.

Elle ris et elle à vraiment un très joli rire, ça me fait d’ailleurs sourire. Il est vrai qu’elle ne serait peut-être pas habillé dans cette tenue si elle chantait, à moins qu’elle tournerait un clip dans un hôpital ce qui serait plutôt étrange. Je suis assez curieux de l’entendre chanter, mais je me vois mal lui demander un concert ici.

« Je ne sais pas pourquoi mais vous devez surement chanter bien, vous avez déjà une jolie voix sans chanter. »

Ca ne veut absolument rien dire je sais, mais si c’est sa passion depuis longtemps elle a du s’entraîner et elle doit donc surement savoir chanter. Je suis à nouveau surpris, elle n’est plus étudiante, depuis peu et elle travaille déjà, c’est bien qu’elle ait trouvé quelque chose, c’est qu’elle devait être une bonne élève. Elle est psychologue donc … Elle aurait des choses à dire à mon sujet. Il ne vaut mieux pas que ça dévie là-dessus, je n’aime pas trop les psy, même si j’en vois.

Elle est donc née à Londres. Elle est anglaise, une compatriote. Je souris de nouveau, ravi de pouvoir rencontrer quelqu’un qui soit peut-être aussi patriote que moi, enfin je n’en sais trop rien, beaucoup de britanniques ne sont pas patriotes pour autant, mais elle a l’air ravi de savoir que je suis anglais alors ça me laisse penser qu’elle l’est, que peut-être l’Angleterre lui manque. J’ai un petit haussement d’épaule à sa question, non ça n’a pas été simple, j’étais en pleine remise en question et j’ai été muté parce qu’ils pensaient pouvoir me faire changer d’avis et me laisser un peu de temps pour reprendre du poil de la bête et je n’ai rien fait pour aller mieux, pire j’ai trompé ma femme avec le voisin qui se trouve être Axel. Je me crispe légèrement quand elle me demande si je fais partie de l’armée et je lui réponds :

« Je faisais parti de l’armée, j’ai démissionné, du moins on m’a plus ou moins poussé à faire autre chose et puis j'ai divorcé et je me suis décidé à postuler pour être garde du corps. Je suis garde du corps … enfin je l'étais jusqu’à ce qu’on essaie de tuer un de mes clients, je me suis interposé et j’ai pris une balle dans le cou. Je suis en … convalescence. »

C’est le mot, interdiction de reprendre le travail encore une fois. Ce n’est pas l’envie qui me manque mais mes supérieurs veulent que je me repose, que je prenne du temps pour moi. Il ne m’ont pas encore affecté de nouveau client et je commence à trouver le temps long.

On se dirige vers la sortie, mais pour ça il faut descendre et je suis passé par les escaliers tout à l’heure. J’ai monté à pied, je le fais tout le temps même si il y a plusieurs étages, je n’ai pas fichu un pied dans un ascenseur depuis des années. Je me fige donc et me laisse en proie avec mes vieux souvenirs, jusqu’à sentir le mur derrière moi et revenir à moi. Je m’assois, c’est tellement épuisant, de revivre tout le temps les mêmes choses. Ca ne s’arrête jamais. Ce qu’elle me dit me frappe un peu, ce n’est pas la peur qui me paralyse si elle savait … ce serait plutôt la culpabilité du survivant. La culpabilité de ne pas avoir pu sauver mes frères d’armes. Si je veux en parler ? Je fais non de la tête et lui dit :

« Non c’est du passé, faut que je tourne la page. »

Plus facile à dire qu’à faire. Je le sais, ça fait des années que j’essaie, des années que je me dis d’arrêter d’y penser, mais rien n’y fait.

« Il faut que je sorte d’ici. »

Je ne suis pas à l’aise ici et je crois que ça se voit.

Sans pouvoir contrôler quoique ce soit, je me sens rougir face à son compliment. Je tombe même un peu plus timide, ce que je ne suis pas vraiment en temps normal. Mais, en même temps ! S’il continue comme ça, comment ne pas craquer face à son charme ? Je sais, c’est complètement idiot et stupide de craquer pour un parfait inconnu qui était perdu tellement loin dans ses pensées quelques instants plus tôt, mais… il est tellement beau, de un, et, de deux, avec ce genre de phrases-compliments, c’est encore plus. Plus quoi ? Je ne sais pas. Je sais juste que c’est plus. Puis, avec le trouble borderline que j’ai, ça n’aide vraiment pas à ne pas me faire des scénarios trop rapidement dans ma tête.

- Merci. Je tente de trouver le courage de poster sur les réseaux une petite vidéo de moi qui fait une reprise d’une de mes chansons préférées. Qui sait, vous allez peut-être tomber dessus par hasard un jour.

Je tente de reprendre le contrôle de moi-même avec cet aveu. Ce n’est pas vrai que je vais perdre tous mes moyens face à un homme après un seul compliment. Puis, la conversation se poursuit. Je lui apprends que je ne suis plus étudiante puisque je suis officiellement psychiatre maintenant. Et tout aussi naturellement que le reste, j’ai la confirmation qu’il est anglais lui aussi. Et il me parle qu’il pouvait être mobiliser ici alors je lui demande s’il fait parti de l’armée. Ce que je regrette aussitôt que je le voie se crisper. Oui, ce n’était presque rien, mais c’est mon travail de voir les changements dans le non-verbal de mes patients alors, même si je préfèrerais ne pas y être aussi attentive en dehors de séance psychiatrique, je les remarques pour tout le monde.

- Oh..! Je suis désolée pour vous. C’est affreux et tellement triste tout ça. Votre convalescence se passe bien au moins ? Je suis contente que cette balle ne vous a « que » blessé et pas tué.

Qu’est-ce qu’on peut dire face à ce genre de révélation, sérieusement ? Ça doit vraiment être horrible à vivre. En plus, il a divorcé d’avec sa femme après l’épreuve d’avoir été plus ou moins poussé à démissionner.

Puis, on se dirige vers la sortie. Sans y penser, car j’ai l’habitude de prendre l’ascenseur lorsque je travaille, j’en appelle une pour descendre. J’ai à peine fait deux pas pour y entrer que je sens que l’inconnu ne me suit pas. Donc, je me retourne vers lui et le vois figer, le regard perdu dans le vague. Je m’installe à ses côtés, la main sur son bras. Je lui dis même qu’il n’a pas à s’excuser pour une peur qui le paralyse. Je tente vraiment de l’aider à faire diminuer sa panique que je peux lire encore sur son visage. Je lui fais un petit sourire pincé lorsqu’il refuse d’en parler parce que « c’est du passé » et qu’il doit tourner la page.

- Quelques fois, c’est en a parlant qu’on arrive à tourner la page plus vite…

Je ne peux pas retenir ses paroles de franchir la limite de mes lèvres. Puis, je hoche la tête lorsqu’il affirme qu’il doit sortir d’ici. Je me redresse donc et lui tend la main pour l’aider à se redresser.

- Venez. On va sortir en prenant les escaliers cette fois-ci.

J’accompagne mes paroles par un doux sourire qui se veut rassurant.

@Dallas Davenport

Je souris, je ne sais pas si je tomberais sur ses vidéos, je ne suis pas fan des réseaux sociaux, même si je les utilise. Je suis un peu de la vieille école, bien que ce fût pratique quand j’étais à l’étranger et en mission, ça facilite un peu la vie de pouvoir communiquer avec ses proches grâce à ça. Mais ça n’a pas que des avantages. Je me contente donc de lui dire :

« J’espère. »

J’ai un léger sourire discret quand elle me dit qu’elle est désolée, qu’elle est contente que j’ai seulement été blessé. J’acquiesce, sans trop savoir quoi dire. Si elle savait. Instinctivement je lui dis :

« J’ai vu pire … ça ne devait pas être mon heure, j’ai déjà échappé deux fois à la mort. Ça fait beaucoup mais j’imagine qu’il y a une raison à ça. »

Peut-être que c’était pour que je la croise, peut-être que c’était pour que j’aide d’autre personnes. On me laisse une autre chance encore. Je ne saurais sans doute jamais. Il y a des gens qui meurent tous les jours, ça fait parti du cycle de la vie. Je suis là maintenant alors j’essaie de faire au mieux pour m’en sortir, même s’il m’arrive de boire régulièrement. C’est un petit vice qui commence à devenir agaçant. Je n’ai pas envie d’être cet homme-là, mais parfois je ne sais vraiment pas comment oublier toutes mes souffrances.
Puis l’ascenseur arrive … je ne peux pas y monter, je ne peux plus, n’importe où je prends les escaliers peut importe le nombre de marche. Je ne peux pas entrer là-dedans, alors je lui dis et elle semble comprendre, en parler ? Pourquoi faire ? Ça ne changera pas le passé.

« J’ai essayé, mais ça ne change rien. C’est toujours là. Ça ne sert plus à rien d’en parler, je sais que ça sera là quoi que je fasse. Je dois juste faire avec. »
C’est comme ça, je fais au mieux, mais c’est loin d’être évident à gérer et j’ai besoin de sortir d’ici. Surtout que je repense à plein de choses, à mon arrivé ici quand j’ai été rapatrié, à Axel qui était mon voisin et qui était là quand je me suis fait tirer dessus. Tout se mélange un peu. J’ai trompé ma femme avec Axel. Je n’aurais sans doute pas du et j’ai tenté de me suicider chez lui, ce n’était pas non plus très sympas de ma part pour lui. Je m’en veux encore de lui avoir fait subir tout ça. Je n’ai pas su quoi lui dire tout à l’heure, j’aurais aimé pouvoir m’excuser mieux que ça. Je vois qu’elle me tend la main et je la saisi me relevant en douceur. Elle a les mains plutôt douces. Je ne sais pas pourquoi mais reste quelques instant la main dans la sienne avant de la lâcher et de me mettre à marcher vers les escaliers.

« Pourquoi est-ce que vous avez voulu aider les autres ? »

Je ne sais pas si cette question est indiscrète ou non, mais c’est son métier et visiblement on a cette envie de faire le bien en commun.

Le fait qu’il m’affirme qu’il espère tomber sur l’une de mes vidéos me fait sourire davantage. Je me sens si idiote à être si facilement séduite par lui. Je ne le connais aucunement et il semble avoir des problèmes à régler. Quoique ce n’est pas une raison pour repousser quelqu’un, mais voilà quoi. Et puis… De quoi je parle moi ? Comme si on était en train de se séduire l’un et l’autre. Faut vraiment que j’arrête de me faire des films si facilement dès que je commence à parler avec un gars mignon et gentil ! S’en ait presque pathétique.

Pourtant, ça ne m’empêche pas d’être soulagée d’apprendre que la balle ne l’a que blessé. Bien sûr, elle n’a pas pu lui être fatal puisqu’il est là devant moi. Mais, bon, je me comprends et ça semble lui faire plaisir au vu de son petit sourire discret alors c’est le plus important pour moi. Ces paroles, cependant, me prennent de cours et me choque tellement que j’apporte ma main libre au niveau de mon cœur.

- Deux fois ? C’est horrible ! Vous pouvez remercier votre bonne étoile de veiller sur vous, ça c’est sûr.

Je n’arrive pas à croire qu’on peut échapper autant de fois à la mort et être aussi relaxe face à cette réalité. Quoique… il était totalement perdu dans ses pensées, donc très certainement dans ses souvenirs, lorsqu’on s’est croisé alors il n’est surement pas aussi tranquille qu’il ne le laisse paraître à cet instant.

Et j’ai à nouveau une preuve qu’il n’est pas aussi tranquille qu’il ne le laisse paraître lorsque l’ascenseur arrive et qu’il fait littéralement une crise de panique. Clairement, il y a un traumatisme derrière ça. Et pas besoin d’être psychiatre pour le comprendre. Je penche la tête sur le côté à ses paroles en lui serrant un instant le bras pour lui montrer mon soutient. Je ne peux que le comprendre. J’ai eu tellement de mal à faire le deuil de mon petit-ami et je ne parle même pas de celui de mon frère. Je fais genre que j’ai fait mon deuil, mais je vais encore me réfugier dans sa chambre lorsque son manque est trop fort et j’y pleure un long moment. J’ai même pris l’un de ses t-shirt en guise de pyjama. Tout ça pour dire que je ne peux que le comprendre.

- Je vous comprends. Les premières fois, elles donnent l’impression de simplement attiser la douleur, mais à force d’en parler, ça l’apaise et elle est bien plus facile à gérer ensuite. Tout garder pour soi, c’est comme tenter de contenir un feu dans une salle plein de produits inflammable : tout fini par exploser.

Je tente une nouvelle fois, même si je ne suis pas là pour le forcer à se confier. Je ne force pas plus et me relève. Je lui tends ma main libre – l’autre tenant toujours mes documents – dans le but de l’aider à se relever. Un long frisson me remonte l’échine au contact de sa paume dans la mienne. Sa main est chaude et englobe la mienne. C’est si agréable que je remarque que lorsqu’il relâche ma main qu’on a gardé nos mains enlacées plus longtemps que nécessaire. Je détourne le regard, me sentant rougir, puis me diriger vers les escaliers pour commencer à franchir le chemin qu’il nous reste à franchir avant d’atteindre l’extérieur. Puis, à sa question, je lui jette un regard en souriant doucement.

- J’ai toujours aimé aider les autres. J’étais toujours la première à défendre tout le monde, surtout mes deux frères, Charles et Clay. Puis, un autre de mes frères plus vieux étaient médecin et j’étais toujours fascinée par ses histoires à l’hôpital. J’ai donc voulu suivre ses pas et j’ai fais médecine à Londres. J’ai été diagnostiquée borderline et le psy que je voyais était vraiment formidable. Alors j’ai voulu faire comme lui pour aider les personnes qui n’arrivaient pas à gérer les événements qui leur arrivait, comme ce psy a fait pour moi. Je me suis donc spécialisée comme psychiatre lorsqu’il fut le temps de me choisir une spécialité.

Un doux sourire est toujours présent sur mes lèvres lorsque je repense au pourquoi je suis devenue psychiatre. Je finis même par replacer timidement une mèche de cheveux derrière mon oreille avant de lui relancer un regard.

- Et vous, pourquoi avoir vouloir devenir soldat ?

J’espère que ma question n’est pas indiscrète et ne le mettra pas mal. Mais, j’ai tellement envie d’en découvrir plus sur lui. C’est presque insensé puisque je ne le connais même pas au fond. Il n’est qu’un inconnu que je ne recroisera surement jamais.