Fin octobre

Octobre n’est même pas terminé encore que je commence déjà à penser à Noël. Je ne comprends pas pourquoi je suis si rapide sur cette ambiance des fêtes cette année. Habituellement, je suis toujours dernières minutes et il faut même que mon fils me dispute pour que je fasse mes décorations avant le 23 décembre. Mais à quoi bon les faire puisque de toute façon, il ne viendra jamais chez moi. Il ne se réveillera jamais le matin du 25 décembre pour retrouver ses cadeaux sous le sapin qui illuminera mon salon. Il ne viendra juste jamais dans ma maison, même s’il possède sa chambre à l’étage, pour sa sécurité. Je refuse qu’il devienne un pion pour m’atteindre. C’est bien pour ça que depuis sa naissance, c’est moi qui me déplace chez sa mère le 24 ou le 25 pour fêter Noël avec lui. Et c’est de plus en plus dur puisque j’ai tellement l’impression de manquer tellement de choses importantes dans sa vie. Il a eu 17 ans cet été et… j’ai manqué son anniversaire parce que j’avais une mission importante à faire au sein de la mafia. Mon père fait souvent en sorte de m’accommoder pour cette double vie, mais je ne peux pas avoir toujours des passe-droits sinon sa crédibilité et sa réputation en tant que chef ne seront plus aussi solide et les membres de la mafia ne lui fera plus confiance. Donc, j’ai manqué son anniversaire, même si je me suis rattrapé en allant le voir quelques jours plus tard. Bref, je crois que mon esprit des fêtes vient surement du fait que je trouve que le temps passe si vite et que c’est une période qui se veut joyeuse, mais surtout que c’est une période que mon fils adore. C’est donc une façon d’être proche de lui, sans l’être physiquement. Quelques fois, j’aimerais avoir le choix de tout quitter pour simplement vivre la vie de père que je devrais avoir auprès de mon fils. Tout recommencer avec lui et être réellement son père. Mais, ça voudrait dire quitter ma famille, la mafia dont ma famille fait parti depuis tellement de temps et quitter mon salon de tatouage et ma cliente. Ça fait quand même beaucoup. C’est bien pour ça que je planifie simplement plus souvent des visites chez mon fils lorsqu’il me manque trop. Sa mère est toujours bien contente de me voir en plus. Je ne sais pas ce que je ferais si c’était l’inverse. Je ferais tout en mon pouvoir pour voir mon fils le plus souvent quand même. C’est ma raison de vivre après tout.

Mais, ce n’est pas pour tout de suite ma petite visite surprise au New-Jersey. Oh non. J’ai, exceptionnellement, un agenda rempli de rendez-vous de tatouage. Qui se vide peu à peu, certes, que la semaine avance. Et heureusement ! J’adore tatouer, là n’est pas le problème. Loin de là même. Je me sens juste de moins en moins concentrer tellement que mon fils occupe mes pensées. Je crois vraiment que je vais l’appeler ce soir en call vidéo. Ça pourrait m’aider à tenir jusqu’à ce weekend lorsque je pourrais le voir en chair et en os. Où je pourrais le serrer dans mes bras aussi forts que je l’aime. Ou pas autant sinon je lui briserais tous les os du haut de son corps à bien y penser.

Je relève la tête du dessin d’aigle que je suis en train de dessiner pour un futur tatou lorsque la cloche annonce l’arrivée d’un nouveau client. Je reconnais Lou. Il vient depuis quelques temps pour, surtout, faire recouvrir certains tatouages. Je ne pose pas de questions sur le pourquoi du comment. Après tout, chaque tatouage raconte une histoire et, s’il veut les faire recouvrir, c’est qu’il veut camoufler cette histoire. Ce n’est pas pour la raconter à un inconnu.

- Salut Lou!

Je lui lance avec un grand sourire avant de me redresser du haut de mon deux mètres pour l’accueillir.  

@Lou Skywood

À force de travailler avec différentes personnes, j’ai développé le don de deviner ceux qui allaient me dévoiler toute sa vie au fil des séances et ceux qui n’allaient rien me dire, donc que je n’allais rien savoir d’eux malgré les heures qu’on allait passer ensemble. J’avoue que ma place dans la mafia m’a surement aidé à développer ce don puisque, maintenant, j’arrive à savoir qui allait craquer facilement et qui n’allait jamais rien dire malgré tout ce qu’on pourrait faire. Alors avant même la fin de notre première discussion, il y a un peu plus de trois ans, j’ai su que Lou n’allait pas être un de mes clients bavards. Et la preuve : trois ans plus tard, je ne sais pratiquement rien de lui. Je ne lui ai jamais posé de questions sur la raison de ses tatouages ou pourquoi il recouvre tel tatouage ni sur la raison de ses cicatrices. Il voulait les faire recouvrir ? Parfait. Dès qu’elles seront guéris, je vais les recouvrir avec le dessin qu’il voudra. Cependant, j’ai appris ou surtout compris que Lou était du genre loyal, car, oui, en trois ans, il ne s’est fait aucun tatou ailleurs que dans mon salon. Même si l’attente pour un rendez-vous pouvait être un peu plus long, il a toujours pris rendez-vous avec moi. C’est en faisant attention aux détails qu’on peut en apprendre beaucoup sur quelqu’un. Donc c’est faux de dire que je ne connais rien de Lou. Cependant, c’est vrai de dire qu’il ne m’a rien appris de lui volontairement. C’est en l’observant que j’ai appris à le connaître. Sans jamais poser de questions indiscrètes. De toute façon, Lou n’est pas du genre bavard, je l’ai vite compris. Puis, ça me convient. Avoir un rendez-vous où j’ai juste à me concentrer sur le tatouage que je suis en train de faire au lieu d’une conversation en plus, ça fait toujours du bien. Alors, c’est avec un grand sourire que je l’accueille en passant de l’autre côté de mon comptoir à l’accueil.

- Ça va très bien et toi ?

Je crois que la raison pourquoi j’apprécie autant Lou est le fait que je me retrouve en lui. Moi non plus je n’aime pas trop m’étaler sur ce que je vis. Il y a bien que mon père et l’une de mes sœurs qui arrivent à me tirer les vers du nez. Surtout mon père en fait puisque ma sœur ne connait pas toute ma vie. J’ai des secrets pour elle aussi. Il n’y a que mon père qui sait absolument tout de ma vie. Ça s’explique par le fait qu’il est mon père certes, mais surtout qu’il est le parrain de la mafia, donc il a besoin de tout savoir pour ne pas avoir de surprise. Bref, tout ça pour dire que je ne vais pas comment à lui déballer mes états d’âme. En plus, c’est un client et un inconnu en quelque sorte. J’attrape donc le dessin et ne peux empêcher un sourire amusé de se dessiner sur mes lèvres lorsque je vois une nouvelle chauve-souris sur la feuille. Ce n’est pas la première que je lui tatoue et, honnêtement, je commence à être réellement curieux de sa signification pour lui.

- Très bien, merci. Je vais faire le talque, tu peux t’installer pendant ce temps. Tu la veux toujours sur ton épaule droite pour recouvrir les trois phrases, c’est ça ?

Je lui demande tout en prenant mon matériel pour faire le dessin qui me servira de guide pendant le tatouage. Puis, je viens m’installer à côté de la chaise où Lou sera assis pendant le tatouage.

Autant je sais parfaitement respecter le choix de mon vis-à-vis de ne pas parler de sujet qu’il ne souhaite pas, autant aujourd’hui, je suis d’humeur à discuter. J’ai vraiment besoin de distraction pour ne pas penser à mon fils. Il me manque beaucoup trop et la fin de semaine n’arrive clairement pas assez vite à mon goût ! Je sais que je n’aurais pas ce smalltalk avec Lou cependant. Ce n’est pas son genre. La preuve : il me répond simplement un simple « ça va » à ma réponse. Sans plus. Je hoche tout de même la tête avec un sourire. Je crois que je suis vraiment d’humeur à socialiser alors ça risque d’être compliquer et long cette séance, dis donc.

Je regarde la feuille où une chauve-souris figure et, à l’œil, je ne pensais pas avoir à faire des modifications alors je suis plutôt content. Mais, faudra tout de même que je vérifie pour être sur puisque c’est un endroit tout de même courber, donc les perceptions pourraient être légèrement perturbé.

- C’est parfait !

Je lui dis, ensuite, de s’installer pendant que je prépare mon matériel et le stencil. Je vérifie si la grosseur de la chauve-souris sur le stencil est d’une bonne proportion pour couvrir la totalité des phrases lorsqu’il est installé sur le fauteuil. Je hoche la tête une nouvelle fois lorsqu’il me montre exactement où il voudrait ce nouveau tatouage.

-Je vais devoir ajuster légèrement pour que la chauve-souris est une belle forme, qu’elle recouvre la totalité des phrases et qu’elle se rapproche juste assez de Batman et de la libellule.

Je l’informe en vérifiant une nouvelle fois si mes mesures sont toujours bonnes.

- Ça devrait être bon pour l’autre s’il n’est pas trop gros. Tu veux toujours une chauve-souris rempli de noir simplement, c’est ça ? C’est quoi ton autre envie sinon ?

Je lui demande en terminer le stencil. Une fois que j’en suis satisfait, je viens préparer l’endroit. Je le désinfecte, le nettoie. Je fais tout ce qu’il faut. Puis, je le déposer minutieusement ce dernier à l’endroit désirer, puis passe dessus pour être sûr que tout soit bien transférer sur la peau. Je termine de préparer mon matériel, mais des gants et me tourne vers Lou prêt à commencer le tatouage.

- Hésites pas à me dire si tu as besoin d’une pause. C’est un endroit avec beaucoup d’os et très peu de chair ou de gras alors ça risque de piquer plus que les autres fois. Les pauses peuvent être vraiment bénéfiques si jamais.

Je lui mentionne le tout, même si je suis certain qu’il sait déjà tout ça. Ce n’est pas comme si c’était son premier tatou après tout.

Personne pendant ma scolarité aurait pu me qualifier de perfectionniste. En même temps, je n’étais pas fait pour rester des heures assis à écouter des profs répéter les mêmes choses. Les maths, le français, les sciences, tout ça c’était loin d’être ce qui me faisait vibrer. Pourtant, lorsque je faisais enfin quelque chose que j’aimais réellement, là je pouvais y passer des heures pour rendre le tout parfait. C’était le cas dans mes entrainements et la boxe. Aussi lorsque je dessinais. Alors c’est sans surprise si je suis aussi intensément perfectionniste pour chaque tatou que je fais. Je n’enchaîne peut-être pas des dizaines de clients par jour, mais je sais que, grâce à mon zèle, je me crée une clientèle fidèle et régulièrement. Je prends le temps avec chacun d’eux pour que chaque dessin soit à leur goût, puis que le stencil soit parfait et parfaitement placé avant de commencer à marquer la peau blanche de mon encre noire. Pour certains, j’en fais peut-être trop, mais pour moi, c’est juste ce qu’il faut puisque je veux offrir le meilleur service à mes clients.

Puis, travailler avec un client comme Lou qui sait parfaitement comment agir sans même que j’aie à le guider, c’est juste génial. Ce n’est pas compliqué ni fatigué et encore moins énervant. Tout coule de source, comme une rivière calme qui descend dans le nid de la rivière. Je vérifie une dernière fois qu’il veut bien que la chauve-souris soit remplie presque toute de noire avant de lui dire qu’il n’y a pas de soucis pour son deuxième tatouage. Je lui lance un sourire amusé lorsqu’il me mentionne que c’est la tête de Batman qu’il veut sur sa main. Pourquoi ne suis-je pas réellement surpris ? On se le demande haha ! Je termine de poser le stencil, en même temps, puis gant de latex enfilé et machine en main, je me place pour commencer, tout en lui disant qu’il peut prendre des pauses quand il veut.

- S’il est petit et pas trop compliqué, je devrais avoir le temps avant mon prochain client sans soucis. Avec déjà une image précise en plus, ça va accélérer le travail.

Un sourire en coin décorer mes lèvres lorsque je vois les étoiles briller dans les yeux de Lou. J’adore voir mes clients avoir ce genre de regard face aux traits mauves qui décorent leur peau. Si je pouvais payer le loyer avec ces regards, ça serait la plus belle paie que je pourrais avoir ! Je commence à marquer la peau blanche de mon encre m’appliquant à cent dix pourcents. Ce qui est bien avec Lou, c’est qu’il n’est pas le genre de clients à avoir besoin de parler tout le long de la séance. Ça fait du bien de pouvoir se concentrer simplement sur mon travail quelques fois.

- Compte sur moi pour que tous tes potes soient jaloux de ta chauve-souris !

Je lui lance avant qu’on ne se plonge dans un silence confortable seulement briser par le bruit de ma machine. Après un bon moment, on prend une pause pour laisser Lou remuer son épaule. J’en profite pour déposer ma machine et faire bouger mes doigts aussi pendant quelques secondes alors qu’il me montre la photo.

- Nice ! J’aime beaucoup. Ça devrait le faire. Mais je crois pas avoir le temps de tout le terminer aujourd’hui, cependant. En fait, je ne te garantis rien. Ça va dépendre du temps que ta chauve-souris prend. Mais, je pourrais facilement faire les stencils et tout ça, puis, au pire, on reprendra un rendez-vous pour faire le tatouage.

Peut-être que je vais avoir le temps de faire les deux tatouages, mais peut-être que non alors autant prévenir tout de suite.

Je tente d’évaluer le temps que me prendra de tatouer la chauve-souris sur l’épaule de Lou en plus de son Batman sur sa main avant le prochain client, mais avec mon grand perfectionnisme, c’est dur de bien évaluer. Après tout, une fois que c’est tatoué sur la peau, je ne peux rien effacé pour recommencer alors je dois vraiment faire le calque parfaitement, le déposer exactement à la bonne place et ne pas me presser pour passer avec l’aiguille. C’est parce que je veux offrir le meilleur résultat et service à mes clients que je prends aussi peu de clients dans une même journée. C’est aussi pour ça que mes clients reviennent toujours. Ils savent que je vais atteindre leurs attentes. Donc, oui, je vais faire au moins pour faire le Batman sur sa main, mais jamais au détriment de son premier tatouage.

On finit par faire un pause, ce qui n’est pas plus mal. Je commençais à avoir des crampes dans les doigts. Je fais bouger mes doigts et mon poignet pour les dégourdir pendant qu’il me montre la fameuse photo. Il y a un peu de remplissage, mais ça ne devrait pas prendre trop de temps. Ça devrait être faisable puisque sa chauve-souris est plutôt bien avancée. Je le laisse se dégourdir un peu en replaçant mon matériel pour être sûr de ne manquer de rien pour la suite. Je lui souris lorsqu’il me dit que ce n’est pas grave si ça ne se fait pas aujourd’hui.

- Ça avance bien, j’ai bon espoir de pouvoir le faire aujourd’hui. Sinon, oui, on reprendra rendez-vous. Ça va être facile de la caser entre deux autres rendez-vous.

Je lui réponds en reprenant le travail juste avant de suspendre mes gestes par sa question. Je rigole un peu en hochant la tête. C’est vrai que je ne semble pas tatoué, mais je le suis. Pas énormément, mais quand même. J’ai le tatouage de la Bratva sur la cuisse et un petit tatouage en l’honneur de mon fils derrière l’oreille. J’adore l’art du tatouage, mais je n’ai jamais réellement ressenti le besoin de remplir mon corps d’encre. C’est assez paradoxal en effet.

- J’en ai quelques un, seulement ils ne sont pas très visibles. Surtout avec des vêtements. Mes deux principaux sont sur ma cuisse et l’autre derrière l’oreille. Ma mère n’aime pas trop l’idée des tatouages chez les autres alors chez ses enfants… Ça serait bien épouvantable. Et même si j’adore tout ce qui est tatouage, j’ai jamais ressenti le besoin de recouvrir ma peau de noire. Je préfère le faire chez les autres.

Je réponds à sa question avec peut-être un peu trop de détails, mais je suis plus concentré sur le remplissage de sa chauve-souris que sur ma réponse alors c’est ce que ça donne.