C’est le premier week-end que je passe à la maison, après être rentré officiellement à la maison en début de semaine et avoir passé le reste de celle-ci à aller au centre en hôpitaux de jour, car j’ai encore besoin de beaucoup progresser pour me sentir pleinement à l'aise dans la vie de tous les jours. J’ai pu sortir tout de même, car je parviens à me débrouiller malgré tout pour beaucoup de choses heureusement après tout ses mois passés loin de chez moi !
Sara est partie faire quelques courses avec Lorenzo, car même si je suis pleinement heureux d’être à la maison, ce nouveau rythme m’a complètement lessivé ! Je suis obligé de me lever plus tôt pour aller au centre, et puis il y a Lorenzo, il a 12 ans, même si c’est plus un petit-enfant, cela reste un gosse ! Alors j’avoue que je n'avais absolument pas envie de sortir… Il y a ça bien sûr, mais au fond, c’est peut-être aussi le fait que je suis pas prêt à sortir à la vue de tous. C’est encore quelque chose qui est en travail avec l’équipe, on m’avait prévenu que la sortie était un peu tôt, mais j’avais réellement besoin de rentrer. Mais j’ai vraiment peur de sentir ses regards sur moi, j’ai toujours fait très attention à mon apparence bien bâtie de par mon métier forcément, mais aussi de par mon métier, partir en mission, c’est sortir de chez soi en tenue, c’est croisé dans le regard des gens de la fierté et la … Je vais croiser de la pitié, je ne suis pas près, je le sais…

Je vais commencer par une petite étape, c'est-à-dire voir quelqu’un extérieur au corps médical et à ma famille. J’ai décidé d’inviter Ambre à la maison histoire d’essayer de retrouver des réflexes d’une vie de tous les jours. Nous nous sommes revus plusieurs fois, forcément depuis le temps qu’on est amie, ce grâce à son mari. Je sais que ma situation est difficile pour elle aussi, c’est la hantise de toute famille de militaire, retrouver sa moitié mutilée … Je pense que c’est important qu’elle me voie à la maison.

Je lui ai envoyé un sms pour savoir si elle est dispo, histoire qu’elle vienne boire un café à la maison. Ravie d’avoir une réponse positive, j’ai pris les devant pour préparer le café et des petits gâteau, car je ne suis pas encore un rapide. A la maison, je parviens à me déplacer sans béquille, parvenant à réellement marcher sur ma prothèse, mais c’est loin d’être encore très naturel.

@Ambre Nicholson

J’avais besoin de voir quelqu’un, me retrouver tout seul, finalement ce n'est pas si facile. C’est tout le paradoxe en ce moment, je ne veux pas voir la pitié des gens, je ne souhaite donc pas sortir pour le moment. Et en même temps, dès que Sara est partie avec Lorenzo, dès que j’ai ressenti le silence, le vide dans la maison cela m’a angoissé… Avec l’armée, on apprend à vivre tous ensemble, la solitude, on ne la connaît pas. Et depuis l’accident, je n’ai pas quitté le monde médical, un monde où pareille on voit beaucoup de monde passé, beaucoup de patients comme nous, le centre c’est beaucoup d'activités entourer… Alors, ouais, même si je suis fatigué, la solitude ça va pas. Mais je ne vais pas l’avouer, je préfère faire comme si de rien n’était et inviter Ambre à la maison. Je pense que cela nous ferra du bien à tous les deux en plus alors autant en profiter.

Même si je ne retrouverais jamais une vie normale, me retrouver à faire du café fait du bien, et je pense que cela ferra plaisir à Ambre, de me revoir chez moi. C’est une grande victoire après tout ! Alors que je suis dans la cuisine, la sonnette retentit. Et je me dirige vers la porte, ma démarche est loin d’être naturelle, mais je dois lâcher les béquilles, car je sais que j’ai tendance à ne pas mettre de poids sur la prothèse et donc je ne progresserai jamais correctement. J’ouvre donc la porte pour voir Ambre et lui offre un sourire.

“ Holà, un peu fatigué sans te mentir, mais bon ça va et toi ?”

Je lui retourne sa bise et la fait rentrer sans tarder.

“ Allons nous installer dans le salon, Sara a investi dans un nouveau canapé lit confortable au cas où je ne pourrais pas monter toujours en haut.”

D’ailleurs, cela a été utile, si les deux premiers soirs, j’ai voulu faire le fière et monter dans notre chambre, le troisième soir après une journée au centre intensif, j’avais trop de douleur et de fatigue pour grimper nos deux étages.

“ J’arrive avec le café.” Je me sens beaucoup mieux pour le coup n'étant plus tout seul.

@Ambre Nicholson

Je mentirai si je n'ai pas pensé à la mort durant les premiers mois… Le réveil a été tellement violent, les douleurs physiques ont parfois été réellement insupportables me faisant souhaiter la mort pour arrêter l’agonie de ce corps mutilé… Sans parler de la torture psychologique, tant par le fait de savoir que des soldats sous mes ordres sont morts, d’autre ont été aussi blesser que moi, dans ce malheur, je me suis évanouis sur le coup et je n'ai pas vu mes camarades au sol. Mais l’ascenseur psychologique, c’est aussi accepter le handicap, accepter de ne plus retourner au front… Tant de choses qui font forcément penser à la délivrance d’une mort… Mais j’ai une famille, une femme que j’aime, qui a sut rester avec moi malgré mes 22 ans d’engagement à l’armée. J’ai encore 3 enfants, dont un encore jeune… Je n'ai pas le droit de les abandonner même si c’est dur. Heureusement que j’ai vite accepté le suivi psy, je pense que cela m’a bien aidé quand même, je continue le suivi, j’ai encore des combats à gagner et car j’ai d'autres blessures, d'autres souvenirs… 22 ans d’armée à soigner.

“ Je ne sais pas trop, c’est que du coup, je me lève plus tôt pour aller au centre, là-bas, je me lève et j’avais un couloir a traversé pour aller chez la kiné et après manger si ça n'allait pas, je pouvais m’allonger un peu. Mais bon ça fait quand même du bien d’être à la maison, retrouver un semblant de vie quotidienne avec Sara.”

Elle me dit que ça va, mais j’ai souvent cette crainte que les gens se refusent à me dire que ça va pas sous prétexte que je vis “pire”. Je lui fais part de notre nouveau canapé alors que je vais dans la cuisine et je souris à ses propos.

“ Je lui ai dit la même chose, qu’il va bien avec la déco.”

J’ai pris un plateau pour mettre les deux tasses de café et les biscuits, et je n'ai pas trop rempli les tasses histoire d’être sûr que cela arrive sans déborder jusqu'à la table du salon. Avec ma démarche très chancelante et non fluide, c'est plus sûr ! Je parviens à bon port ! Je me glisse alors sur la gauche d’Ambre afin de ne pas peiner à l’entendre.

“ Il est plutôt confortable, j’ai malgré tout dormi dessus cette semaine, incapable de grimpé jusqu’au deuxième… Je ne sais pas si je n'ai pas voulu sortir trop rapidement quand même.” Osais-je avouer, je suis très heureux d’être à la maison, mais les médecins m’ont prévenu que c'était tôt.

@Ambre Nicholson

Après 22 ans dans l’armée, peut-être que j’avais un peu oublier ce risque… Aurais-je pu éviter cet incident ? Bien sûr que non, c’est la guerre, les risques sont là toujours. La psy là dit, je dois pas m’en vouloir, mais parfois, c’est plus fort que moi… Et puis cette idée que certains sont mort et pas moins, la psy appelle ça le syndrome du survivant, quelque chose de difficile à gérer… Mais je me dis qu’en étant enfin à la maison cela devrait se tasser un peu ! Même si tout cela engendre pas mal de fatigue malgré tout. J’acquiesce un peu, oui probablement qu’il y a la possibilité d’avoir un lieu de repos, mais faut croire que mon égo m’empêche d’avouer cette faiblesse, celle qui risque de donner raison au toubib qui me disait que c’était trop tôt…

“ Probablement… Mais les médecins m’ont prévenu que je sortais trop tôt, j’ai pas envie de leur donner raison, je sais c’est con, mais voilà… C’est pas facile, mais oui, c’est très agréable de retrouver un semblant de vie de famille et de couple.”

Même si … la vie de couple, on est encore un peu loin malheureusement… Les changements de mon corps me refroidissent encore beaucoup, malgré la façade d’homme fort, y a encore beaucoup de fragilité… Je parviens à ramener le café sans incident, ce qui est une victoire. Alors que je m’installe sur le canapé, elle me donne son avis. Bien sûr que je trouverai toujours de l’aide si j’ai besoin, mais j’ai du mal à me dire que j’ai besoin d’aide pour certaines choses, je sais que c’est passager en plus, car une fois habitué à la prothèse et mon ouïs défaillante, en sois je serais autonome, alors oui, je ne compte pas m’habituer à demander de l’aide.

“ Bien sûr qu’ils seront tous ravis de me donner un coup de main, mais j’ai pas envie d’avoir cette place de père que les enfants doivent aider, tu vois ? Je suis de retour à la maison après plus d’années d’absence que de présence, et je veux profiter des dernière année d’enfance de mon dernier qui commence déjà à être plus proche de l’ado que du gamin !” Je soupirais doucement.

“ Merci en tout cas et finalement, tu vois, je crois qu’il me serait plus facile de te demander un coup de main pour je ne sait quoi cas eux, tu vois le truc ?”

@Ambre Nicholson