TW: : drogue, meurtre affreux, sexe, dépression

(un) ·· quelle chienne de vie. t'as rien demandé à personne, et voilà que tu vois le jour. un putain de cadeau pour tes parents qu'est devenu un lourd fardeau à porter pour toi. t'es devenu le miracle. le petit prince. le roi de la maison. tes parents t'ont attendus une éternité. ils t'ont espéré. t'ont pleuré. t'ont prié. et tu as finalement pointé le bout de ton nez. t'as même eu un mois d'avance sur les estimations du gynécologue de ta mère. un prématuré, sans la moindre séquelle. dieu était vraiment du côté de tes vieux, il y a pas à tortiller du cul. quelle chance. tu ne le nies pas ; t'en as bien profité. à outrance, même. on ne t'a jamais dit non, on ne t'a jamais rien refusé. et ce n'était sans doute pas la meilleure éducation qu'un enfant puisse rêver. (deux) ·· mais à croire que tu n'étais pas suffisant, quelques mois seulement après ta naissance, un marmot apparut dans votre maison londonienne. tes géniteurs te l'ont présenté comme ton frère, malgré que vous ne partagiez pas le même sang. quelle veine, ouais. t'es vite tombé de ton trône pour te perdre parmi les gueux et les ploucs. t'étais pas assez bien, t'étais pas suffisant. il en fallait toujours plus. toujours plus d'argent. toujours d'héritier. cqfd. l'amertume de cet instant n'a jamais vraiment disparu. on peut pas dire que tu sois le frère rêvé, oh non. (trois) ·· tu ne devais pas avoir plus de quatre ou cinq ans lorsque la famille a suivi le géniteur à l'autre bout du monde. une mutation pour le travail. londres ne suffisait plus. ce n'était pas assez grand pour ses ambitions professionnelles, ni pour son portefeuille, alors il a exporté la famille en amérique. la grosse pomme. (quatre) ·· quand t'es arrivé dans tes nouveaux quartiers privilégiés, un chat s'est invité dans ta chambre et a décidé de ne plus jamais la quitter. moustache, l'avais-tu affectueusement nommé. après son décès, tes parents ont cru bon de t'en offrir un second, comme un pansement sur une plaie béante. c'est tout naturellement que tu l'appelas moustache deux. et ce ne fut pas moins de quatre moustache qui se succédèrent durant trente-neuf années. ce qui fut une bêtise d'enfant, se transforma en une moquerie d'adulte. qui sait, un cinquième trouvera peut-être le chemin de ton appartement ? (cinq) ·· t'étais pas là depuis longtemps. peut-être six mois ou un an. mais ce sale morveux avait décidé que tu n'étais pas assez bien pour devenir son ami, sous prétexte que tu t'étais moqué d'un de ses amis dont la morve coulait par tous les trous. rhys. t'étais arrivé là en plein milieu du semestre, et comme ça suffisait pas, tu venais de te faire expulser de la populace scolaire. un rebut de la société, à tout juste sept ans. comme si cette humiliation n'avait pas suffit, ce con-là semblait te suivre à la trace, où que tu ailles et quoique tu fasses. d'abord dans la cour de récré, puis à l'école de police, et même jusque dans ton boulot. mais dire que cette rivalité soit déplaisante, ce serait se mentir à soi-même, et c'est pas ton genre. (six) ·· des tragédies, avec ton taff, t'en as vécu plus qu'assez pour toute une vie. pourtant, tu ne t'attendais pas à voir une femme se faire tirer dessus par ta faute. l'histoire est encore floue dans ton esprit. des mois après l'incident, tu ne parviens toujours pas à te remémorer avec exactitude ce qu'il s'est passé ; malgré les rapports de ton collègue présent sur place, tu ne revois que des flashs sans queue ni tête. cette femme que t'étais censé protéger mais qui s'est jeté devant toi pour t'éviter de prendre une balle. t'as pas pigé. t'avais ton gilet, t'en es certain. elle ne serait pas jeté sur tes côtes, t'aurais été secoué, ouais, et puis ? t'aurais peut-être un hématome à l'endroit de l'impact, des os fracturés, sans doute, mais elle serait toujours en vie. alors pourquoi ? tout ce que tu sais, c'est que t'es en vie et pas elle. tout ce que tu sais, c'est qu'elle a pissé le sang. que sa cervelle a finie en bouillie immonde sur ton visage. depuis, t'es plus le même. depuis, tu ne dors plus. depuis, t'as que des questions qui tournent en boucle dans ton esprit : qui ? pourquoi ? comment ? vous n'aviez rien vu venir. (sept) ·· cette affaire sordide ne s'arrête pas là. ce serait trop simple. des pistes, vous en avez suivi. plusieurs. sans suite. sans tournant. puis un jour, une opération sous couverture pour obtenir des informations. t'avais trop besoin de réponse pour laisser quelqu'un d'autre y aller. ce meurtre te ronge depuis trop longtemps. alors tu t'es fourni une nouvelle identité, une nouvelle peau, une nouvelle histoire et t'as rencontré des types louches. rien de nouveau dans la ville qui ne dort jamais. tu ne sais plus vraiment comment t'as atteri là-dedans, ou plutôt que tu ne veux plus t'en souvenir mais, d'un mec clean, t'es devenu une loque, accro à toute sorte de substance ; liquide, gazeuse, solide. rien ne t'importe que la sensation après coup. celle de te sentir léger, tremblant de plaisir. tu te disais que c'était pour renforcer ta couverture, pour qu'on te prenne au sérieux dans les quartiers où tes parents n'oseraient jamais mettre les pieds, même en plein jour et sous escorte policière. t'arrives à garder ça pour toi pour l'instant. quelques gouttes dans les yeux avant d'entrer dans le poste, un spray au menthol dans le fond de la gorge ou une pastille à la menthe, un mouchoir pour t'essuyer le nez. t'as trouvé des parades. mais jusqu'à quand ton secret restera-t-il un secret ? (huit) ·· les addictions ont continué. ce sont étendues. l'alcool, le sexe. t'étais encore jeune en ce temps-là. le sexe occupait ton temps libre. des hommes, des femmes, des personnes que tu ne parvenais pas à genrer correctement, trop dans le brouillard pour ça. peu importe. seul l'effet comptait. t'arrivais au septième ciel, mais t'y restais pas suffisamment longtemps pour goûter au paradis. t'en voulais toujours plus. ton frère blague sur le fait que t'as peut-être des dizaines de marmots qui courent dans les rues de new york sans même que tu sois au courant. des dizaines peut-être pas. mais un gamin de dix-neuf ans dont tu ignores tout, pourquoi pas... (neuf) ·· t'as bien essayé de trouver de l'aide. t'es pas non plus complètement irresponsable. t'as appelé des hotlines bidons. plusieurs fois. quand t'avais plus rien à te foutre dans le fond du gosier, ou bien quand tes tremblements de manque t'empêchaient pas de composer leur numéro sur ton smartphone. mais à part te dire que t'étais capable d'arrêter, t'as jamais su trouver quelqu'un capable de te tirer de là. les dealers sont bien plus faciles à trouver qu'une quelconque main tendue. (dix) ·· contrairement à ce que tes origines pourraient laisser croire, t'es un accro à la caféine. une addiction de plus sur la longue liste que tu dissimules dans un coin de ta tête. ça t'aide à tenir au boulot. ça t'aide à expliquer tes mains qui tremblent. le manque de caféine, ouais. (onze) ·· est-ce que t'as envie de t'en sortir ? cette hotline à la con t'as posé cette question en pleine nuit, une fois. et t'as même pas su y répondre. te complaire dans la misère, c'est tellement plus simple. tellement plus simple que de lutter contre tes démons. t'as juste besoin qu'on fasse le chemin avec toi, à ta place peut-être. que l'on te dire en avant. ou que l'on sombre avec toi. t'as cette vision débile, ce rêve idiot, où tu finis par être clean. comme si c'était faisable. mais t'es tout seul. tu portes un masque. tout le temps. mais dans le fond, t'as tout ce que tu mérites. tu récoltes juste les graines qu'ont planté tes parents, à tout te céder. t'as pas su dire non quand on t'as proposé du crystal. et ça, tu leur en veux. c'est de leur faute. (douze) ·· quand t'es stressé, t'as cette facheuse manie de faire tourner cet anneau autour de ton pouce. l'intérieur de cette bague, à force de faire le tour de ton doigt, est poli de l'intérieur. un toc. (treize) ·· durant tes insomnies, t'aimes bien monter sur le toit de ton immeuble et observer le monde. une seconde de répit, de calme. ou tu n'as besoin que d'une seule chose : le silence. (quatorze) ·· t'as des cicatrices sur tout le corps. ton visage est la seule zone miraculeusement épargnée. un trou formé par une balle de neuf millimètres dans la clavicule. des plaies diverses et variées pour avoir sauvé la veuve et l'orphelin. certaines de tes conquêtes te demandent leurs histoires, tu en inventes lorsque tu oublies, ou que tu dissimules celles que tu t'es auto-infligé. ça t'amuse. (quinze) ·· que tu sois encore dans le monde des vivants, c'est ça le vrai miracle. t'attends un sauveur. une sauveuse. qu'importe. tu te noies dans l'illusion que si le monde t'a foutu dans cette merde, le monde t'en sortira. que t'as qu'à attendre qu'il fasse son travail. tu fais le tien. jusqu'au jour où tu prendras le revers de la médaille. la mise à pied n'est pas si loin. un simple test d'urine. le moindre doute. et la taule n'est pas loin.