Le réveil est brusque, comme souvent. Je tremble presque, je déteste ça, dormir, chaque fois je fais les mêmes cauchemars. J’entends les mêmes choses et parfois quand je me réveil je me rends compte que ce n’est pas fini. Je me suis réveillé encore d’un bond, je reprends mon souffle, il faut que je me lève et je vais dans la salle de bain. Je me rappelle que je ne suis pas seul, c’est rare. Je n’ai pas envie qu’il se pose trop de questions. Je me passe un peu d’eau sur le visage et je vais dans le salon, je n’ai pas envie de retourner dormir, de toute manière je n’arriverai pas. Je me sers quelque chose à boire et je le vois venir vers moi. Il me demande si ça va.

« Ouai, tu veux un truc à boire ? »

Je demande, il acquiesce et je lui sers. Il me remercie et me redemande si ça va.

« Tu n’a pas l’air bien. Je t’ai entendu dans ton sommeil. Ça avait l’air agité. »

Je soupire, je n’ai vraiment pas envie de parler ça. Il le voit bien, mais je ne pourrais pas non plus faire l’autruche longtemps, mais je n’ai pas encore assez confiance pour lui raconter non plus.

« Je n’ai pas envie d’en parler. »

« C’est à cause de ta mère, c’est ça ? »

Je me tourne vers lui et lui demande :

« Quoi ? Pourquoi tu dis ça ? »

Il a l’air un peu gêné et sort son téléphone avant de me montrer et de dire :
« Tu te souviens l’autre soir on a regardé ce reportage sur les affaires criminelles et ils ont parler de cette femme qui a tué son mari à Londres et tu avais eu une drôle de réaction quand on a regardé ça, tu es parti avant la fin, ils ont parlé d’un garçon qu’elle avait eu, qui s’appelait Clark … Je ne suis pas idiot tu sais. Tu es anglais, tu ne parles jamais de tes parents biologiques et le garçon sur la photo te ressemblait beaucoup. Alors j’ai cherché et je suis tombé là-dessus. »

Il me montre une photo de moi qui avait été prise pendant le procès de ma mère, avec mon nom en dessous. Je ne sais pas si je suis furieux ou si j’ai envie d’exploser, je ne sais pas quoi faire, ni comment réagir, parce qu’on ne me l’avait jamais faite celle-là.

« Tu veux que je dise quoi ? Oui c’est moi, j’ai vu ma mère mettre une balle dans la tête de mon père, c’est moi qui l’aie dénoncé. C’est ça que tu as envie d’entendre ? Qu’elle est en prison et que j’ai été placé en foyer ? Que je préfèrerais être né dans une autre famille ? C’est ça que tu veux entendre ? »

Je m’énerve un peu beaucoup. Merde, fait chier. Je prends mes affaires, j’ai besoin d’air. Il me regarde interloquer, sans doute qu’il ne pensait pas à mal et il me demande ce que je fais. J’ai besoin d’air c’est tout. Je claque la porte, comment est-ce que je pourrais faire confiance à qui que se soit maintenant. Je prends mes clés et je marche un peu. Je n’avais pas parlé de ça depuis un moment. Je n’ai pas envie qu’on me le rabâche encore et encore. Je suis tellement énervé, que je ne sais même pas où je vais.

Finalement, je ne sais pas si c’était une bonne idée de déménager à New-York. Toutes les économies que j’ai réussi à ramasser se sont presque tout envolé dans ce déménagement. J’avais les parents de mon défunt meilleur ami qui pouvaient m’aider un peu avec Jasmine. C’est vrai qu’ici j’ai Fidji, mais je ne veux pas lui donner l’impression de profiter d’elle. Jasmine l’adore déjà en plus. Je ne veux pas qu’elle se fasse des idées sur nous deux. C’était bien le fun ce qu’on a vécu à Denver lorsqu’elle y a étudié, mais tellement d’années sont passées depuis… En plus, j’ai fait le connard en couchant avec elle à notre arrivée en ville pour ensuite faire comme si rien ne s’était passé. Ce que je fais encore…

Cependant, le nouveau métier que j’exerce ici est bien meilleur que celui que j’avais à Denver. Il paye mieux, même si je ne vois pas une très grande différence puisque le coup de la vie est bien plus cher. Heureusement, je crois que Jasmine adore vivre dans cette ville. Elle semble toujours tellement émerveillée lorsqu’on se promène et juste pour ça, ça me rassure dans mon choix de la déraciner. Je crois que je ne pourrais jamais arrêter de sourire devant sa mine éblouie face à chaque nouveau décor qu’elle voit. Elle a beau avoir que 2 ans, mais elle est très expressive… comme sa défunte mère. Jasmine me fait tellement penser à elle que c’est dure certains jours. Comme j’aurais aimé qu’elle ne meurt pas et qu’elle puisse voir sa petite princesse. Qu’on puisse réellement faire tout ce qu’on avait parlé pendant sa grossesse. J’en veux à la vie de toujours m’enlever les personnes qui me sont le plus importante. C’est bien l’une des raisons qui me faisaient tant hésiter à venir m’installer ici parce que je vais encore plus me rapprocher de Fidji et j’ai peur de la perde si on venait réellement à se rapprocher. Et mon frère ! Qu’est-ce qui va se passer lorsque je vais le rencontrer ? Du moins, s’il est toujours dans cette ville et qu’il veut bien me connaître ! Si on se rapproche, je vais le perdre lui aussi ? Je ferais surement mieux de ne pas m’immiscer dans sa vie pour ne pas lui porter malheur ! En fait… j’en veux à la vie pour mille et une raisons.

Je me promène dans Brooklyn après avoir manger des croissants avec Jasmine. Le ramadan étant fini, je peux retrouver un rythme de repas normal et ça fait du bien. Et comme j’ai encore un peu de temps avant de la laisser chez Fidji, j’ai décidé qu’on allait visiter un peu le quartier. Je montre plein de choses à Jasmine qui ne lâche que des « wow » jusqu’au moment où elle voit un chien. Elle pousse un cri en criant « chien » - du mieux qu’elle peut du haut de ses 2 ans – et court vers lui avant même que je puisse faire quoi que ce soit. Et ce que j’imagine de pire arrive sous mes yeux : le chien prend peur et mord le bras de ma fille qui tombe sous le choc. Je ne vois aucune personne à qui se chien pourrait appartenir, ce qui me fait penser que ça doit être un chien errant. Non non non ! Je pense à tous les frais médicaux que ça va coûter, tout l’argent que je n’ai pas. Pourquoi faut toujours qu’il y en ait plus de merde ? Je ne perds pas une seconde pour prendre ma fille dans mes bras tentant de la consoler pendant que je tente de trouver une solution. Je regarde son bras et la morsure semble superficiel, mais je n’y connais aucunement. Est-ce qu’elle est tombée sur la tête ? Je ne sais pas. J’en peux plus de tout faire tout seul. Je veux juste de l’aide. Une épaule sur laquelle me reposer.

Je déteste qu’il ait pu fouiller dans ma vie, ce n’était qu’un date … on n’est pas ensemble, pas encore et maintenant que je sais comment il est, on ne risque pas de l’être. Je suis vraiment frustré et déçu et je marche la tête baissé les mains dans les poches, en colère. Je rumine, plusieurs fois je me retourne en me disant que je vais aller le voir et lui dire ce que je pense et chaque fois je marche vers le centre-ville. Je suis interpellé par des pleurs et je vois l’homme qui porte une fillette, visiblement il y a eu un accident. Ni une ni deux, je me précipite vers eux, oubliant tout le reste, c’est mon travail après tout, j’ai l’habitude et je sais quoi faire. J’avance vers eux et je dis :

« Bonjour, je suis ambulancier, je peux vous aider si vous voulez, vous souhaitez qu’est ce qu’il s’est passé ? Je peux regarder la blessure ? »

Je connais les premiers gestes de secours, je sais quoi faire dans ce genre de situation et je sais que je peux aussi calmer l’homme qui a l’air d’être son père, mais on ne sait jamais, de nos jours on ne peut jamais deviner, c’est peut-être la nounou qui sait ? Je le regarde et lui dit :

« Je m’appelle Clark. »

J’essaie de le mettre en confiance, de lui montrer que je ne suis pas un cinglé qui voudrait profiter de la situation, parce que oui l’humain est tellement mauvais que ça pourrait arriver. Je veux juste les aider, parce que je dois le faire. J’ai ce besoin d’aider les autres depuis toujours, enfin surtout depuis que ma mère s’est révélée être une escroc et une tueuse. Je ne veux pas être comme elle, je veux faire le bien, j’ai choisi le bien et j’essaie d’effacer tout le reste en aidant le plus possible. C’est pour ça que ça m’a mis en colère qu’il puisse fouiner sur mon passé. Je ne suis plus le fils d’une tueuse. Je suis juste Clark.

@Ismaël Hamed

Je suis épuisé. J’en peux plus. Dès que je règle une galère, deux autres me tombent dessus. Par moment, j’en viens à en vouloir à mon ex d’être décédé à son tour me laissant seul avec un bébé. Et pourtant je sais que ce n’est aucunement la faute de Bella. Elle voulait qu’on forme une belle famille ! Alors j’en veux à Allah de toujours m’enlever les personnes qui me sont chers. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter d’avoir autant la poisse ? J’ai peur que cette poisse fini par m’enlever ma fille aussi. Je ne pourrais pas continuer sans elle. C’est grâce à elle si je ne me suis pas encore effondré, que je tiens bon même si je sens mes démons passés tout près de moi. Alors voir ce chien s’en prendre à ma fille me fait vriller. Le manque de sommeil aussi commence à avoir raison de moi, comme le stress. Ça aurait pu être tellement pire si je n’avais pas réussi à lui faire peur pour qu’il fuit. Et maintenant je sais que je devrais me rendre à l’hôpital puisque c’est la meilleure chose à faire, mais je n’ai pas l’argent pour payer la facture qui va suivre.

Ma fille dans les bras, je tente de la rassure du mieux que je peux en essayant de trouver une solution rapidement. C’est la voix d’un homme qui me sort de mon état. Il est ambulancier ? Il pourra m’aider ! Je hoche la tête avec l’envie de fondre en larme en voyant que je ne suis pas seul à ce moment précis.

- Il… Elle s’est fait mordre par un chien au bras.

Je ne dis rien de plus sentant les sanglots me monter à la gorge. Je ne peux pas fondre en larmes devant ma fille. Ça va lui faire peur et elle va encore plus paniquer. Alors je me retiens du mieux que je peux en venant embrasser sa tête.

- Tu montres ton bras au monsieur, ma princesse ?

Je lui murmure doucement en venant replacer ses cheveux qui lui coller sur le visage à cause de ses larmes.

- Enchanté. Je suis Ismaël et voici ma princesse Jasmine.

Je lui fais un petit sourire. Je suis chanceux que Clark passait par là, finalement. Et c’est bien l’une des rares fois où je dis que je suis chanceux. Sans les parents de mon meilleur ami et Fidji, je suis seul alors tout repose sur mes épaules. Alors pouvoir compter sur quelqu’un qui connait les gestes de premiers secours, même si c’est un inconnu, moi je trouve ça être chanceux. Surtout en sachant à quel point la malchance me colle à la peau.

@Clark Williamson

Il me laisse regarder et me dit qu’elle s’est faite morde par un chien, je grimace, parce qu’une morsure peut être traitre et qu’il devrait sans doute l’emmener aux urgences quand même, il vaut mieux prévenir que guérir. Il a l’air de me faire confiance, ce qui est une bonne chose et la petite n’a pas l’air trop terrifiée, même si elle semble inquiète. Je lui souris pour le rassurer et aussi parce que le prénom de sa fille est vraiment celui d’une princesse et je regarde le papa, Ismael donc, pour lui dire :

« Je crois que ce n’est pas trop grave, ça a l’air superficiel, mais il vaut mieux désinfecter, j’ai ce qu’il faut à la maison, il serait sans doute plus prudent d’allers aux urgences, je peux vous y conduire si vous le souhaitez. »

Je ne veux pas les inquiéter, je ne pense pas que ça soit grave, la plaie serait plus virulente et moins « belle », même si en soit-ce n’est jamais beau, mais je pense qu’il vaut quand même mieux aller voir des spécialistes, après tout je ne suis qu’ambulancier, parce que je n’ai pas réussi mes études de médecines, enfin je n’ai pas voulu continuer, je trouvais ça trop dur. Ce n’était pas mon truc comme on dit.

« Je n’habite pas loin, à une ou deux rues, j’ai une trousse de secours, des gazes et du désinfectant. »

Il ne faudrait pas trop traîner, je ne voudrais pas que la plaie reste à l’air libre, ce n’est jamais très bon, alors j’espère qu’il acceptera qu’on aille chez moi, bien qu’il ne me connaisse pas et je comprendrais qu’il préfère aller directement aux urgences.


@Ismaël Hamed