Les oeufs brouillés, c'est beurk

« Et toi Larry, rien à dire ? A croire que tes œufs brouillés sont plus importants que nous. »

Le Larry en question sursaute à moitié. Il y a deux raisons au sursaut. Un, c’est qu’il a horreur qu’on l’appelle « Larry » et ça lui fait toujours froid dans le dos quand c’est le cas. Deux, ça fait plus d’une heure qu’il avait le derrière sur la chaise et personne qui ne lui parlait. Les paroles de son frère le font revenir dans la vie des Van Der Staal.

- Hein ? Il lui faut quelques secondes pour comprendre c’est quoi la question. Non… Non… tout va bien… Il faut qu’il trouve une raison pour être resté silencieux… Ou mieux, pour être content d’être là. J’ai rien à dire, c’est… c’est tout… Mais je suis content qu’on soit tous réunis… comme chaque dimanche.

Voilà, ça suffit. Il sent le regard de ses frères et sœurs alors son regard à lui, ne dévie pas le moins du monde des œufs brouillés qu’il a encore dans son assiette alors que tout le monde a fini. Il n’a vraiment pas envie de les manger. En plus, c’est froid maintenant, le gout des œufs, c’est juste… beurk… Sa gorge se serre, elle n’a pas du tout envie que cette… bouillie animale descende la trachée… Il a presque envie de vomir rien que d’imaginer être forcé à manger ça. Il tripatouille, du bout de la fourchette, depuis une bonne dizaine de minutes maintenant, ces mêmes œufs brouillés. Il entend le journal se plier, leur père désapprouve son comportement, il le sait, rien que par le bruissement du journal, il sait qu’il n’est pas content. Alors raison de plus pour garder les yeux bien fixé sur l’assiette à moitié pleine. Ce silence lui vrille les tympans. Allez, peut-être faut-il leur donner un peu de grains à moudre. Il va se prendre une série de « qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour avoir un fils pareil ? » ou des « le p’tit frère est un idiot, mais ça on le savait depuis longtemps » ou des « roh, mais laissez-le tranquille, le p’tit chou »… Laz est persuadé qu’il n’y aura que Hope qui ne dira rien. Allez, un peu de courage.

- J’ai eu une note, vendredi… C’est sorti de nulle part, mais voilà, comme ça, il aura dit un truc et puis c’est tout. Il attend la question du « alors, combien ? » ou rien du tout, il ne sait pas, mais il reprend la parole, les yeux toujours sur l’assiette. C’est moyen… enfin, un peu au-dessus du moyen. Il aurait pu avoir beaucoup plus, il connaissait toutes les réponses, il aurait pu avoir un A+ surtout que c’était des maths. Il n’avait même pas besoin de la calculatrice pour donner les résultats. C’est trop facile… Les questions n’étaient pas faciles…

Voilà. C’est bon, le patriarche pouvait lâcher les lions et bouffer Laz. Warren ne se gênerait pas pour lui balancer une pique bien placée. Quant à Andrew… Laz ose tourner la tête, peut-être que s’il se prend un sermon, on oubliera qu’il n’a pas mangé les œufs. Son regard pâle se plante sur Drew et il attend la remontrance de la part de son frère.