Quand je suis arrivée dans la salle de sport, j’avais qu’une seule envie, c’était de partir au plus vite. Puis, je l’ai aperçu et reconnu. Depuis, je me sens bien ici. L’odeur de transpiration, la testostérone et les regards, plus rien ne me dérange, car je sais que j’ai quelqu’un qui me donne confiance à mes côtés. C’est idiot car je ne le connais pas réellement, mais j’ai totalement confiance en lui. Car quel homme mauvais viendrait aider une totale inconnue au risque d’avoir des emmerdes à son tour ? Peu d’hommes le feraient. Là, il m’a prêté ses gants pour que je ne me fasse pas mal. Je les ai donc enfilés et je frappe de toutes mes forces dans ce sac. Je lâche aussi quelques légers cris, pas de douleur physique, car ses conseils ont été très bons, mais mentalement, ça me fait souffrir. Je n’arrive pas à m’enlever cette histoire de la tête. Pourtant, il va être condamné, il ne peut être autrement. Enfin c’est ce que je me dis au plus profond de moi-même, car je ne sais pas si j’aurai le courage d’aller jusqu’au bout. Je ne sais pas si j’aurai la force d’aller au tribunal et de raconter devant une seule autre personne ce qu’il m’a fait. Je sais que c’est important de libérer la parole, mais pourquoi dois-je en être le porte-drapeau de toutes ces femmes qui ont souffert à cause de gars comme cet agresseur ?

Je lui dis alors qu’il n’est pas obligé de venir pour témoigner. Je n’ai pas envie de l’importuner, d’avoir des ennuis ou de venir juste pour moi. C’est mon combat, déjà qu’il m’a sauvé la vie, je ne vais pas lui en demander encore plus ! Quand il me raconte qu’il n’a pas toujours été le bon garçon, j’ai un sourire triste. Comment il peut penser ça ? Je veux dire, ça ne devrait pas avoir d'incidence sur mon histoire à la base, hein ? Je m’arrête juste le temps de lui dire « Bien sûr que ça compte. Mais tu sais, c’est moi qui ait fait entrer ce monstre dans ma vie. J’ai tout aussi peur que toi, ne vont-ils pas dire que je l’ai cherché ? Que je l’ai voulu ? » Je soupire bruyamment, tapant encore deux trois fois dans le sac avant de continuer [i]« Je l’avais rencontré dans un bar, un moment où j’étais pas bien du tout. Et je crois que c’est pour faire mal à … à quelqu’un d’autre que j’ai accepté qu’il me raccompagne, mais il a déjà tenté de … Enfin tu vois ! Mon voisin l’a fait déguerpir et il m’a retrouvée à la sortie de mon boulot le jour où on s’est “ rencontrés “ toi et moi ! »[i]

Je tape vraiment plus fort qu’avant dans le sac puis je lui demande comment je dois faire pour arriver à le faire bouger, j’ai l’impression de taper comme le vent. De juste le caresser ! Et là, tout ce qu’il me dit monte dans mon sang, dans mes veines, ça passe par les tripes, par mon coeur mais je ne le laisse pas arriver au cerveau. Je dois ressentir à nouveau ce que j’ai ressenti ce jour-là, cette impuissance que je refuse de ressentir encore une fois. Je ne veux plus jamais être figée sur place et ne pas pouvoir me protéger. Me défendre pour m’enfuir. Je ferme les yeux, je me sens totalement submergée par la peur. Je ressens son odeur, je revois son regard, je ressens ce premier coup qui s’est écraser sur mon visage. Je ne sens pas réellement, par contre, mes poings commencer à frapper. Je frappe de plus en plus fort, sans m’en rendre compte, car je frappe sur ce type, je le bouscule, je tente de le faire reculer. Je pleure aussi. Les larmes roulent sur mes joues ! J’ouvre les yeux, je ne vois plus que mon agresseur, je continue donc à frapper sans arrêter et cela malgré la douleur aux phalanges et malgré mon poignet qui devient douloureux. Je continue encore et encore ! Je veux lui faire mal autant qu’il m’a fait mal à moi !

Mon esprit sait qu’il a raison ! Ma raison me crie de l’écouter, mais tout mon corps, mon coeur et mon âme me connaissent trop bien que pour savoir qu’il y a autre chose en dessous de ça. Qu’il y a plus profond encore comme blessure sous cette culpabilité. Car je ne serais pas sortie ce soir là si je ne voulais pas attirer l’attention d’un mec en particulier. Je sais que je n’aurais pas demandé à ce type de me raccompagner si je ne voulais pas que Jayden voit que moi aussi, je suis capable de ramener de la compagnie chez moi. Je me connais, Jayden est une obsession pour moi. Mon voisin, mon ami, il est un peu le moteur qui me fait avancer, celui qui me maintient ou m’enfonce dans l’eau sombre de mes mauvaises pensées. Je me suis mise en danger consciemment ! Ma psychiatre me dirait que je dois plus peser le pour et le contre avant de faire une bêtise. Mais j’ai beau le savoir, j’ai beau être certaine que je vais me faire du mal, je tombe quoiqu’il arrive dans le danger. Pourtant, est-ce qu’il me regarde plus ? Non ! Est-ce que ça change quoique ce soit ? Non ! Alors à sa réflexion, je baisse les yeux. Je suis coupable de me mettre en danger ! Je suis coupable de l’avoir fait rentrer chez moi. J’ai les larmes aux yeux et je refuse de lui montrer encore une fois ma vulnérabilité. Je me dois d’être forte, de savoir me défendre un tant soit peu, de pouvoir prendre le dessus au moins le temps de fuir si … Si ça m’arrivait à nouveau ! C’est horrible de penser que ça pourrait à nouveau être possible, que ça pourrait recommencer, mais dans ma tête, il n’y a que ça qui tourne en boucle. Il est en liberté, il peut me retrouver comme il le veut, il sait où je bosse, où je travaille, où je sors. Il sait tout et je ne sais rien de lui ! Ca me fait peur, tellement peur !

Alors sans attendre, je frappe dans ce sac, ressentant toute cette colère, cette peur, tout d’abord plus puissante, plus forte qu’avant. Je ressens à nouveau tout m’envahir. J’ai l’impression qu’il est là devant moi. J’ai en bouche le goût du sang, je ressens ses doigts refermés sur mon cou, je sens son haleine empestant l’alcool soufflant face à mon nez, son corps contre le mien, m’empêchant tout geste brusque. Alors je frappe, encore et encore, jusqu’à ne plus avoir ni force, ni peur, ni colère. Je frappe, je fais tout ressortir. Je pleure aussi ! Je n’ai plus l’impression d’être avec un inconnu, mon sauveur, dans une salle de sport. J’ai l’impression, pendant un instant, d’être en sécurité, protégée et calme. Lorsque ses mains attrapent mes poings, j’ai l’impression que mes jambes vont lâcher tellement la pression est redescendue. Je sanglote encore quelque peu ! J’ai du mal à reprendre ma respiration. Mais lorsque mon regard s’ouvre et que je le vois en face moi, que je l’entends, je me sens bien ! Il me prend alors dans ses bras et j’ai un mouvement de recul. Un mouvement très brusque, difficile, violent. Mais lorsque sa voix résonne à nouveau, je viens me blottir dans ses bras amicaux et protecteurs. Je sanglote encore quelque peu, ma poitrine secouée difficilement, douloureusement ! Lorsqu’il m’essuie mes larmes comme un frère le ferait, je lui dis « Merci Lou, tu es une véritable bénédiction. » Je me recule alors doucement, comme apaisée. Je suis heureuse d’être tombée sur lui, je suis heureuse qu’il m’ait comprise, qu’il me soutienne pourtant de la sorte. « Je ne sais pas comment tu as fait, mais je me sens si légère maintenant ! J’ai l’impression que je pourrais soulever des montagnes ! » Je sais que je ne suis pas plus forte physiquement, mais je sens que ce qu’il vient de se passer était important. C’était intense et je ne sais pas comment je pourrais le remercier. Je ne dis pas, qu’une fois sortie de ce lieu, je ne vais pas m’écrouler à nouveau. Mais je dois chérir ce moment le plus possible ! « Mais tu as raison, on va s’arrêter là ! Je t’offre un café ou je te laisse t’entrainer ? » M’abîmer les mains est le cadet de mes soucis, mais le connaître mieux est important pour moi ! Je vais jusqu’au banc, je ramasse dessus mon essuie et je m’éponge un peu le visage et les épaules. Puis ma bouteille d’eau et j’en bois une grosse gorgée !

Je suis contente que Lou accepte mon invitation à prendre un café. Je ne supporterais pas, après cette séance de sport totalement improvisée, de rentrer chez moi, seule. Je ne veux pas recommencer à déprimer, à regarder le plafond en me demandant ce que j’aurais dû changer pour que cela n’arrive pas. Je ne veux pas retomber dans le noir. Je veux vivre et surtout reprendre le dessus sur toute cette histoire. Je ne veux pas que ce type, que Lou a fait partir ce jour-là, continue à gagner, à me faire peur. Et pourtant, c’est difficile ! Il est là, dehors, je pourrais le croiser à tout moment. Je pourrais à nouveau devoir affronter son regard inquisiteur, je devrais à nouveau sentir son haleine s’il s’approche ou même devoir subir sa voix grave et agressive. Je ne veux plus avoir peur ! Je veux vivre et voir le bon côté de la vie. Et j’ai la nette impression que je ne pourrai m’en sortir que grâce à mon sauveur. J’ai confiance en lui, une confiance aveugle, alors que je le rencontre tout juste. C’est bizarre, mais je me sens si proche de lui, comme si nous nous connaissions et étions amis depuis des années et des années. Je le remercie d’un sourire franc et sincère alors qu’il repart vers les vestiaires. Je reste ici, devant ce sac de frappe pendant quelques secondes, ressentant encore les effets de ma colère, pour la première fois, sortie depuis cette agression.

Puis, je pars à mon tour vers les vestiaires, je me prépare et puis, je ressors pour retomber directement sur le jeune homme. Je prends un grand bol d’air en arrivant à l’extérieur. Cet air vicié par la pollution des véhicules qui roulent, beaucoup trop nombreux, dans cette ville. Mais aussi si délectable, quand on vient de passer quelques jours enfermée dans son appartement, les fenêtres et les rideaux occultants fermés. Je hausse les épaules quand il me propose un lieu pour boire ce café, puis je lui réponds « Ca me convient très bien ! » Peut-être parce que je ressens l’adrénaline redescendre, je sens mes mains trembler à nouveau. Mais pour ne pas le montrer, je les fourre dans les poches de mon pantalon avant d’avoir à nous remis ma chevelure le plus possible devant mon visage et après avoir tirer sur les manches pour ne pas montrer les marques qui strillent mes poignets. Alors qu’on marche côtes à côtes vers le petit café, je lui demande pour en savoir plus sur lui « Bon alors, dis m’en plus sur toi. Tu fais quoi dans la vie ? C’est par là qu’on aurait dû commencer non ? » Puis j’ai un petit sourire timide sur les lèvres avant de lui dire « J’ai pas posé la question avant, car c’est comme si j’avais l’impression de te connaître. » Je rougis légèrement en regardant le trottoir sur lequel nos pieds avancent ensemble.