I really need a hug

Il range le téléphone dans la poche de son blouson et croise les bras. Le derrière sur capot de la voiture, il croise les jambes aussi et attend sa sœur. Morgane n’est pas vraiment sa sœur. Du moins pas au sens biologique du terme. Ce n’est même pas sa sœur de patronyme. Il a gardé son nom de famille, elle a gardé son nom de famille, aucun des deux n’a pris le nom des Parks. C’est vrai qu’ils auraient pu. Mais ils ne l’ont jamais fait. Elle est sa sœur seulement de cœur. Ils ont vécu quelques années ensemble. Depuis qu’elle est arrivée au foyer des Parks jusqu’à ce qu’il se fasse tabasser là-bas.

Il y a quatre ans, il a fini à l’hôpital et alors qu’ils n’étaient que frère et sœur officiellement sur le papier, elle était venue le voir, c’était ainsi qu’il avait renoué avec les Parks. Lou avait toujours été seul, n’avait jamais voulu être aidé ou être avec des gens. Sauf Dae. Dae. Dae. Dae. Lui, il avait été son monde, sa famille, son frère, de connerie, de sang, de tout ce que vous voulez, mais c’était avec lui qu’il voulait vivre sa vie. Et puis… Il y a quatre ans, tout son monde s’est écroulé. Il n’avait plus personne. Et Morgane était revenue vers lui. Elle toute seule. Les autres Parks aussi, mais Morgane plus que quiconque.

Morgane qu’il attendait ainsi, appuyé sur sa voiture. Il voit quelques personnes partir des locaux, il sait qu’elle ne va pas tarder. Il… il ne sait pas comment lui dire ce qu’il s’est passé avec Dae. Il ne se voyait pas le lui écrire, parce que déjà dans sa tête, ce n’est pas décidé. Mettre des mots dessus est tellement difficile. Quand elle l’a contacté tout à l’heure, il n’avait rien voulu lui dire au tout début. Enfermé dans son huitre, c’est son habitude. Mais le sujet est trop gros. Dae. Il soupire et se cale une clope entre les lèvres. Il crache la fumée et tire sur le bâton cancérigène.

- Hey, Sis'.

Il balance le mégot dans l’égout et se redresse de la voiture pour faire un pas en direction de Morgane. Il la prend dans les bras. Il sent l’émotion lui monter à la gorge, mais se contente de la serrer doucement, sans rien dire. Puis il l’invite d’un geste de la main à grimper dans la bagnole. Il n’a pas envie de discuter sur le trottoir. Il veut l’emmener ailleurs, loin de là. Il conduit la voiture sans un mot, vers le pont de Brooklyn et se gare non loin. De là où ils sont, ils peuvent voir l’île de Manhattan s’étendre devant eux, le pont qui relie les deux quartiers éclairés sous les lampadaires et les phares des véhicules. C’est calme et il n’y a personne dans les environs. Il sort de la voiture et farfouille dans le coffre. Il y attrape une couverture et un panier avec des victuailles et quelques bières.

Il pose le tout sur le capot du véhicule et y pose les fesses. Face au fleuve, il regarde un moment la vie qui passe lentement, les lumières qui s’allument, les voitures qui passent sur le pont, le vent dans les arbres proches, les bruits de la ville. Finalement, il allume une nouvelle cigarette et tire longuement comme pour retarder le moment où il va devoir parler. Il n’ose pas regarder Morgane dans les yeux, parce qu’il devine bien ce qu’elle va lui dire quand il aura ouvert la bouche. Mais après tout, c’est lui qui a demandé à la voir, parce qu’il veut son calin. Fixant un point inconnu en face de lui, il prononce dans un souffle entaché de fumée blanchâtre.

- Je l’ai embrassé.

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Je l’ai embrassé.

Deux fois. Deux fois il a embrassé Dae. La première fois, sans vraiment s’en rendre compte. En vrai, oui, il s’en est rendu compte juste avant que leurs lèvres se touchent. Il aurait pu ne pas l’embrasser. Mais Dae se serait fait arrêté, maltraité et ça, il ne voulait pas. C’était la peur de le perdre qui l’avait fait l’embrasser. Cette petite seconde qui l’a décidé. Voir Dae s’élancer vers le policier grassouillet et savoir que si jamais il levait un poing comme il était en train de faire, il finirait en taule pour la soirée, pour agression envers un officier des forces de l’ordre et qu’il venait de le retrouver après 4 longues années, il ne voulait pas le reperdre pour autant d’année et pas une seule seconde supplémentaire. Alors oui, il l’a embrassé. Et il s’est calmé. Et il a su que s’il venait de l’embrasser, ce n’était pas pour le retenir, pas complètement, mais c’était surtout parce que ça faisait quatre trop longues années.

Et puis quelques jours plus tard, alors que Lou était dans le lit de Dae, il lui avait demandé de l’embrasser à nouveau. Mais Dae ne s’était pas contenté d’un simple baiser, comme Sky avait presque supplié. Ce baiser, ces baisers étaient tellement puissants qu’il avait l’impression alors que plusieurs jours s’étaient passé de sentir les lèvres de Dae sur les siennes. Il sentait la chaleur de Dae contre son torse. Et quand il fermait les yeux dans son propre lit, il avait l’impression d’être dans celui de Dae. Voilà pourquoi il n’était pas bien, car si pendant quatre ans, Dae occupait ses pensées, était devenu un véritable fantôme qui le hantait, ces derniers jours étaient bien plus intenses que n’importe quoi d’autre. Alors il a besoin de Morgane, parce que Morgane est sa sœur, parce que Morgane est là, quoi qu’il arrive, parce que Morgane peut-être pourrait le comprendre, pourrait lui dire ce qu’il doit faire.

- C’est si important que ça, le « où » ?

Il n’a pas vraiment envie de dire que c’était au Commissariat. Il peut se dédouaner facilement, parce qu’il y avait été injustement mis là par des abrutis de mauvais flics, mais il en sait pas pourquoi Dae y était et s’il dit qu’il a trouvé Dae à la Police, Morgane lui dira qu’il n’est pas une bonne personne, après tout, c’est bien Dae qui l’a tabassé. Sky tire sur la cigarette et reste encore de nombreuses secondes silencieux, se contentant de cracher la fumée, fixant le pont et les lumières en face d’eux.

- Tu sais qu’il y a eu une fuite de gaz dans ma rue. Ce n’est pas vraiment une question, il le lui avait dit, le soir et… il fronce les sourcils. Non. Il ne l’a dit à personne. C’était tellement tard dans la nuit qu’il n’avait pas voulu réveiller les Parks ou Morgane, il n’avait appelé personne en final. Lou soupire. Enfin bref, il y a eu une fuite de gaz dans ma rue et il a fallu que j’aille dormir ailleurs… Il… Il était là et il m’a proposé de dormir chez lui… Et en… en discutant… Je l’ai embrassé. Ce n’est pas totalement vrai. Ca ne s’est pas passé comme ça. Mais Lou ne veut pas s’étaler d’avantage. Il aime énormément quand Morgane appuie sa tête sur son épaule, il serre ses doigts longs et graciles dans les siens. Il a un peu froid, mais ça va. Quand Morgane se redresse, il attrape deux bières, les décapsule et en donne une à sa petite sœur. J’ai besoin de toi, P’tite sœur, parce que… parce que… tout ce à quoi je pense… c’est de l’embrasser… encore.

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« C’est aussi important que : Pourquoi tu as craqué à nouveau ? »

Il soupire. Il ne peut pas dire « où » s’il ne raconte pas toute l’histoire, l’histoire du comment, l’histoire du pourquoi. Pourquoi est-ce qu’il a craqué de nouveau… Il n’a qu’une réponse à donner et Morgane n’acceptera jamais cette excuse. Parce que c’est Dae. Il n’y a pas d’autre raison. C’est Dae. Il a beau le détester, le haïr, le maudire sur un million de génération, il reste Dae et tout ce qu’ils ont vécu ensemble, il ne peut pas l’oublier. Ses yeux se lèvent sur le pont, non loin d’ici, au-dessus d’eux. Il soupire une fois de plus et quittant les lumières scintillantes des voitures, il plonge ses prunelles dans les vaguelettes du fleuve.

- Au commissariat. Oui, ça non plus, elle n’est pas au courant. C’est pas ce que tu crois… Lou sait parfaitement que l’explication part mal. Mais au final, il vient de répondre au « où ». Il ne reste plus que le pourquoi. Il serre le poing libre jusqu’à s’en faire mal. Il resserre les doigts de Morgane doucement, de l’autre main. Avec Halloween, tu sais, on s’était inscrit avec les Parks pour emmener quelques gamins faire le tour du quartier. Je… Il y a eu une altercation, j’y étais pour rien, mais alors que je séparais deux imbéciles de parents, la police est arrivée et ils ont cru que j’étais mêlé à tout ça. Ils m’ont embraqué, j’ai rien pu faire ou dire. Et… Et j’ai fini dans la même cellule que lui. Je sais pas pourquoi il était là. Vu comment il sentait l’alcool, Lou se doute bien la raison de la présence de Dae au Poste de Police. Et rassure-toi, j’lui ai pété la gu*ule. J’y suis allé sévère, mais des abrutis de flics grassouillets m’ont arrêté avant que je termine ce que j’avais commencé. Et puis, j’ai été relaché, parce qu’ils se sont bien aperçu que j’avais rien fait dans cette histoire de parents, enfin bref… Je l’ai attendu à la sortie. Je savais qu’ils allaient le relacher. Lou aurait dû partir, c’est vrai, mais il est resté, peut-être pour finir ce qu’il avait commencé un peu plus tôt dans la soirée. On… on s’est un peu engueulé, c’est vrai… Et y’a un flic qui nous a traité de noms d’oiseaux, Dae… a voulu lui casser la gu*ule, je… je sais pas trop ce qu’il m’a pris, je… je l’ai embrassé. Juste… juste pour le faire réagir, pour… pour qu’il pense à autre chose et… et ça a marché. Je l’ai emmené plus loin et… et on s’est séparé, j’avais mon boulot, je pouvais pas rester.

Et voilà que Lou parle de la fuite de gaz. Parce que oui, cela joue sur ce qu’il pense, sur tout ce à quoi il pense. Avant de retrouver Dae, il pensait déjà à lui. Et depuis Halloween, il y a seulement quelques jours, c’est pire que tout. C’est comme s’il avait besoin. BESOIN. De Dae, contre lui, avec lui. Il veut l’embrasser, c’est vrai. Il a froid. Même la clope ne semble pas pouvoir le réchauffer. Même les doigts de Morgane. Même le calin de Morgane. Il a froid. Il prend la couverture, pour s’enrouler dedans. Il inclut à l’intérieur de ce cocon, les épaules de la petite sœur. Il se serre contre elle, cherchant un abri, quelque part qui l’aiderait à combler ce vide glacial en lui.

- C’était tard dans la nuit, je venais tout juste de rentrer du boulot. Y’a un pompier qui a débarqué… et… j’ai à peine eu le temps de me demander qui appeler qu’il était là. J’étais… fatigué. Juste fatigué. Il a même dit qu’il irait dormir ailleurs si je voulais.

Il ne dit pas qu’il ne voulait pas que Dae aille ailleurs. Il aurait voulu dormir dans ses bras, ou… il ne sait pas. Il ne sait vraiment pas. Il est totalement perdu. Plus il y pense et moins il arrive à se comprendre. « Et ni moi, ni toi, ni même lui, personne ne pourrait me promettre qu’il ne recommencera pas ! » Lou hoche du chef. Il en est conscient. Il le sait. Dae a toujours été violent. Jamais contre lui, cela il le reconnait… en tout cas, jusqu’à ce que son frère, Kang, soit retrouvé, assassiné. Mais il y a toujours eu cette fibre dangereuse en lui. « Si tu l’aimes, si tu crois en lui… Je n’irai pas contre, Lou, même si ça me fout la trouille… Mais tu dois me promettre une chose importante, tu dois vraiment le promettre ! » N-non, il… il ne l’aime pas… Il le déteste. Lou déteste Dae. Lou nie d’abord du chef au début des paroles de Morgane. Puis il acquiesce sur la fin. Il peut promettre tout et n’importe quoi à sa sœur. Et s’il promet, il le promet vraiment. Il ne revient pas sur ses promesses. Jamais. « Si jamais un jour, tu sens que ça dérape à nouveau, qu’il pourrait à nouveau devenir violent, tu ne restes pas ! Tu t’en vas loin et tu m’appelles. Quelque soit l’heure, quel que soit le jour, je m’en fous, tu m’appelles !  Promets-le-moi ! » Il hoche la tête de nouveau. Il promet. Pourtant, il sait qu’il flanchera. Parce que c’est Dae. Non, non, il doit se promettre d’appeler Morgane. Il promet. Il fronce les sourcils, parce que sa promesse doit être vraie, il veut promettre et il ne veut pas mentir.

- Je te le promets, Sis’. Quelque soit l’heure ou le jour, je t’appelle. S’il fait quelque chose qui… qui ne me plait pas, je t’appellerai sans faute.

Ils trinquent, avalent quelques gorgées de bière, termine les clopes tout en regardant les voitures sur le pont, les bateaux dans l’obscurité et le scintillement des reflets, le vent dans les arbres proches. Il a toujours aussi froid. Mais cela fait moins mal. Cela fait moins vide. Parce qu’il a ce lien si particulier avec Morgane. Cette dernière est sa sœur. Pas le moins du monde biologique, mais elle reste sa sœur de cœur, de confidence, c’est peut-être même encore plus fort qu’être d’une même portée. Il ne ferait peut-être pas autant confiance si elle avait été sa sœur biologique. Le mégot envoyé au loin, la dernière bouffée blanchâtre expulsée, Lou regarde la bouteille de bière dans sa main, il gratte même un bout de l’étiquette, un peu perdu.

- Tu sais… je l’… je l’ai aimé… Je sais pas si je m’en rendais compte. Mais à force d’y penser, je… je l’ai aimé. Vraiment. Au point où ça faisait mal. Au point où je me suis déjà demandé si j’arriverai à vivre sans lui… Et depuis… depuis le… A l’hôpital, il n’y a eu que toi qui es venue me voir. Et je… je t’ai comprise… Ce que tu subissais avec ton paternel. Mais… mais le temps passant, il… je l’ai détesté. Et je le hais encore aujourd’hui. Je ne veux plus rien à faire ou à voir avec lui. Sincèrement. Mais… quand je veux l’oublier dans d’autres bras, je… tout ce à quoi je pense… c’est lui.

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- Mais je ne l’ai pas appelé ! Il… Il était là ! Juste… là. Il est apparu comme ça.

Les yeux tournés loin de là, vers les quais de l’autre côté du fleuve, vers les phares des voitures traversant le pont, vers les feuilles qui emportées par le vent passent devant eux, il se rappelle la scène. Il était assis sur le banc, une clope aux lèvres, la fatigue sur les épaules. Que faire ? Appeler les Parks ? Non, non, hors de question, cela faisait 4 ans qu’il n’était pas retourné à la maison, et il ne le pouvait toujours pas. C’était trop douloureux. Dormir au club de strip était possible aussi. C’était un peu perdu dans les pensées qu’il avait vu Dae s’installer à côté de lui, sur le banc. Il n’avait fallu que quelques paroles, à peine une question et Sky l’avait suivi. Cela s’était fait comme ça, sans vraiment prendre le temps d’y réfléchir.

- J’ai pas réfléchi… ou alors… peut-être que je voulais aller chez lui pour lui faire mal… Je ne sais pas. Avec lui, je… je ne sais plus du tout.

Morgane lui demande de promettre. Ce qu’il fait. L’hésitation n’est pas sur le fait qu’il craint pour sa propre vie, elle est là parce que Lou a toujours été un être fier qui a toujours cru n’avoir besoin de personne. La vie ne lui a jamais fait de cadeau, mis à part cette rencontre avec Dae, mis à part la famille Parks. Devoir demander de l’aide, ce n’est pas dans ses habitudes, il ne veut pas embêter les Parks pour toutes les conneries qu’il a fait dans le passé. Il ne peut pas dire à tout le monde qui l’a tabassé, qui hante ses nuits, pour qui il donnerait sa vie. Il n’y a que Morgane. Il n’y a que sa main qu’il a attrapée, parce qu’elle était là, parce qu’au fond, ce qu’elle a subi, il venait de le subir. Il a totalement confiance en elle, il lui a fait promettre de jamais révélé qui l’avait tabassé et elle n’avait jamais ouvert la bouche. Alors il promet, même si c’est particulièrement difficile, pour lui de demander de l’aide. Il espère qu’il n’aura jamais besoin d’appeler Morgane à n’importe quelle heure, parce qu’il espère sincèrement que Dae ne sera plus jamais violent avec lui.

Amoureux ? Lui ? De Dae ? Non, non, impossible. Il baisse le regard sur la bière. Il ne peut pas croire qu’il est amoureux de Dae. Pas après ce qu’il a fait. C’est impossible. Morgane doit se tromper, c’est évident. Lou passe une main dans les cheveux, ce qui ne sert à rien, car ces derniers reviennent tomber quelque peu devant ses yeux. Il soupire. Il ne veut pas croire. Il n’y a pas d’amour, ou plutôt, il n’y a plus d’amour entre Dae et Sky. On ne fait pas ça à son amoureux et on ne ressent pas cette envie de tuer lorsqu’on est amoureux. Il nie du chef, doucement, sans même s’en rendre compte. Morgane recommence, insiste sur les sentiments. Elle l’envie ? Il faut reconnaitre qu’elle a raison. Quand il aime, il aime fort. Il aime puissamment. Il aime avec tout son cœur. « Tu crois qu’il ressent la même chose pour toi ? » Il redresse brusquement la tête et la fixe, surpris. Il fronce les sourcils. Il a envie de dire non. Il a envie de dire oui. Mais quelle est la vérité ? Qu’est-ce qu’il pense véritablement des sentiments de Dae ?

- Non. S’il doit être honnête, il dirait non. Non, il ne m’aime pas. Et il ne m’a jamais aimé. Il met de côté pas mal de choses que Dae lui a dit ou a fait et… et ça, ça prouve bien qu’il l’aime, non ? Notre relation… Avant… c’était… Il hausse les épaules. pour passer le temps. Je… j’étais là quand il avait besoin de moi. Lou hoche la tête. Je sais, Morg’, je sais ce que tu vas dire… Que je mérite mieux, que je ne suis pas un objet qu’il peut utiliser comme bon le chante. Je sais… Il redresse la tête, cherche une sorte de réconfort dans le paysage. Mais je l’aimais et ça ne me dérangeait pas. Il déglutit. Dae ne m’a jamais menti. Et… là, quand on s’est revu, il… il a dit des choses qui… qui me font penser que… que j’aurai dû le lui dire, qu’on aurait pas perdu du temps, qu’on aurait pu… être vraiment ensemble… sans devoir se cacher… Il soupire. Je ne sais pas, p’tite sœur… Je l’ai aimé, ça, c’est la certitude. Tout le reste… j’en sais rien.

Il se prend la tête entre les mains, il ne sait plus du tout où il en est.

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Est-ce qu’il dit la vérité ? Hmm ? Quand il dit que Dae ne l’aime pas ? Lou n’est pas si honnête que cela avec lui-même. S’il remonte au tout début, quand ils se sont rencontrés. Dae était un ami. Un camarade d’école. Un pote. Un meilleur ami. Depuis le début. Ils ont grandi comme ça, jusqu’à ce que les hormones grandissent, jusqu’à ce qu’ils tombent dans les bras d’autres personnes. Jusqu’à ce que Lou rencontre Michelle Ruffin. C’était à ce moment qu’il s’est intéressé uniquement aux hommes. Et surement à ce moment qu’il a commencé à voir Dae différemment. Mais il a fallu encore quelques années avant que l’un ou l’autre, il ne sait plus, propose de coucher ensemble. Avec Dae, cela avait toujours été « une fois, mais pas deux », pourtant… Lou avait demandé une deuxième fois. Dae avait accepté. Et cela avait tout changé. Tout. Absolument tout. Quelque chose… entre eux, avait changé. Et les sentiments étaient nés. En tout cas pour lui. Mais s’il était totalement honnête, Dae devait bien avoir des sentiments s’il avait accepté plus d’une fois ? Dae devait bien avoir des sentiments si… si à la découverte de la mort de son frère il était venu le voir, lui. Lui et personne d’autre.

Lou n’a jamais parlé de cela à Morgane. Ni à personne d’autre. C’est l’un de ses secrets les plus secrets. Sky n’avait jamais amené Dae à la maison des Parks. Il n’en avait jamais parlé non plus. Sky n’était que de « passage » chez les Parks, dans sa tête, à ce moment-là. C’était peut-être ceux qu’ils considéraient le plus comme sa famille, mais il n’avait jamais vraiment eu de bonnes relations avec qui que ce soit. Sauf Morgane qui était arrivée un peu avant. Pour lui, elle était comme une petite sœur qu’il fallait protéger. C’était tout, ça n’allait pas vraiment plus loin. Il avait été son confident, mais de son côté, il n’avait jamais vraiment rien dit concernant la vie qu’il menait. Et puis le tabassage. Dans son propre lit. Morgane qui l’avait accompagné à l’hôpital tout ce temps. Et les longs silences qu’il avait brisé à voix basse. Il s’était confié à Morgane comme elle l’avait fait quelques années plus tôt. Cela les avait rapprochés. Et maintenant, il était là, ils étaient là, tous les deux, assis sur le capot de sa voiture, à parler de Dae et du fait que Lou l’avait embrassé. Rien que de revoir la scène, dans le lit de Dae, ce dernier l’embrassant, un trou noir se créait dans le creux de son torse.

Pas de jugement entre eux, avait-elle dit. Il hoche du chef, sans répondre verbalement. Il a trop mal, à l’intérieur, pour dire quelque chose de plus. Il est tellement perdu, il ne sait plus ce qu’il doit penser. Dae s’est accaparé de ses pensées et il n’arrive pas à le repousser. Et quand ses réflexions vont ailleurs, il s’étonne tellement de ne pas y trouver Dae. Dae va le rendre cinglé. Surtout depuis qu’il l’a revu, depuis qu’il l’a embrassé. Depuis que lui, Lou, lui ait demandé de l’embrasser. Il veut que cela cesse. Il veut réussir à… se séparer de Dae. Il veut réussir à faire sa vie sans lui. Le veut-il vraiment ? C’est là que Morgane décide de passer à l’action. Elle range le tout sur les sièges arrière de la voiture et propose d’aller ailleurs. De rouler jusqu’à… elle ne sait pas, mais elle veut y aller. Aller ailleurs. Se changer les idées. « Allez, viens ! S’te plait ! » Mais… mais il faut un… but, non ? Il… Il va pas rouler comme ça juste pour… « Dépêche toi sinon tu vas être obligé de m’accompagner dans tous les derniers films romantiques à souhait de Netflix ! » Un sourire involontaire et narquois glisse sur son visage.

- Oulà, on est parti, grimpe là-dedans, p’tite sœur, j’t’emmène faire un tour. Pas question de regarder des films à l’eau de rose. C’est pas son genre. C’est pas le genre de Morgane non plus, mais il sait parfaitement qu’elle n’hésitera pas à mettre sa menace à exécution s’il n’obtempère pas. Il se redresse donc du capot et se met au volant de son bolide. Alors qu’il met le moteur en marche, il se tourne tout de même vers la jeune femme et l’attire à lui pour lui embrasser le front. Je t’aime, p’tite soeur.

Il sort du parking lentement. Ok, prendre une route un peu toute droite pour aller loin, très loin. Enfin, pas trop loin non plus parce qu’il doit bosser demain et elle aussi, alors au moins ce soir et cette nuit, ils doivent juste sortir de cette ville et aller loin. Il prend donc la route 27, en direction de l’aéroport JFK. Il imagine une courte seconde si le chemin de Morgane les amène là-bas, est-ce qu’ils prennent un avion ? Non, il n’a pas de passeport de toutes manières et certainement pas assez d’argent pour ça. Non, ils vont passer l’aéroport et ils verront bien où ils arriveront. Il roule alors tout droit. Morgane lui dira quand tourner, il a besoin, c’est vrai de s’aérer la tête. Qu’ils partent à l’aventure, oui. Entre Freeport et Merrick, il prend la première à droite et la première à gauche. C’est un centre commercial. Il se gare devant un des magasins, celui de bricolage. A côté, il y a une pizzaria, un supermarché Trader’s Joe, un truc pour faire les ongles et un club de fitness. Tous, encore ouvert.

- On peut aller ailleurs, s’tu veux… Mais j’dis pas non à une pizza, si c’est toi qui offre.